Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
saluait très bas dans les rues un homme qui n’était pas cardinal, mais que
n’escortait pas moins une suite imposante d’acolytes et de serviteurs chargés
de toises et de grands rouleaux de vélin ; cet homme était messire
Guillaume de Coucouron, chef de tous les architectes pontificaux qui, depuis
l’an 1317, rebâtissaient Avignon pour la dépense fabuleuse de cinq mille
florins d’or.
    Les femmes, dans cette métropole
religieuse, se vêtaient plus bellement qu’en aucun lieu du monde. Les voir
sortir des offices, traverser les rues, courir les boutiques, tenir cour en
pleine rue, frileuse et rieuses, dans leurs manteaux fourrés, parmi des
seigneurs empressés et des clercs fort délurés, était un enchantement du
regard. Certaines allaient même fort aisément au bras d’un chanoine ou d’un
évêque, et les deux robes avançaient, balayant la poussière blanche d’un pas
bien accordé.
    Le Trésor de l’Église faisait
prospérer toutes les activités humaines. Il avait fallu construire de nouveaux
établissements bordeliers et agrandir le quartier des follieuses, car tous les
moines, moinillons, clercs, diacres et sous-diacres qui hantaient Avignon
n’étaient pas forcément des saints. Les consuls avaient fait afficher sur
panonceaux de sévères ordonnances : « Il est fait défense aux femmes
publiques et maquerelles de demeurer dans les bonnes rues, de se parer des
mêmes atours que les femmes honnêtes, de porter voile en public et de toucher
de la main le pain et les fruits dans les boutiques sous peine d’être obligées
d’acheter les marchandises qu’elles ont tâtées. Les courtisanes mariées seront
expulsées de la ville et déférées aux juges si elles viennent à y
rentrer. » Mais, en dépit des ordonnances, les courtisanes se paraient des
plus beaux tissus, achetaient les plus beaux fruits, racolaient dans les rues
nobles, et se mariaient sans peine tant elles étaient prospères et recherchées.
Elles regardaient avec assurance les femmes dites honnêtes mais qui ne se
conduisaient guère mieux, à cette seule différence que le sort leur avait
fourni des amants de plus haut rang.
    Non seulement Avignon, mais tout le
pays environnant se transformait. De l’autre côté du pont Saint-Bénezet, sur la
rive de Villeneuve, le cardinal Arnaud de Via, un neveu du pape, faisait
édifier une énorme collégiale ; et déjà l’on appelait la tour de Philippe
le Bel « la vieille tour » parce qu’elle datait de trente ans. Mais
sans Philippe le Bel, qui avait naguère imposé à la papauté le séjour
d’Avignon, tout cela eût-il existé [27]  ?
À Bédarrides, à Châteauneuf, à Noves, d’autres églises, d’autres châteaux,
sortaient de terre.
    Bouville en éprouvait quelque fierté
personnelle. Non seulement parce qu’il se sentait concerné par tous les actes
de ce roi, mais encore parce qu’il avait pendant de longues années tenu la
charge de grand chambellan auprès de Philippe le Bel et qu’il se pensait un peu
responsable de l’actuel pontificat.
    N’était-ce pas lui, Bouville, qui
voici neuf ans, après une épuisante course à la recherche des cardinaux
éparpillés entre Carpentras et Orange, avait le premier proposé le cardinal
Duèze pour être le candidat de la cour de France ? Les ambassadeurs se
croient volontiers seuls inventeurs de leurs missions lorsqu’elles ont réussi.
Et Bouville, se rendant au banquet que le pape Jean XXII offrait en son
honneur, gonflait le ventre en imaginant bomber le torse, secouait ses cheveux
blancs sur son col de fourrure, et parlait assez haut à ses écuyers dans les
rues d’Avignon.
    Une chose, en tout cas, paraissait
bien acquise : le Saint-Siège ne retournerait pas en Italie. On en avait fini
avec les illusions entretenues sous le pontificat précédent. Les praticiens
romains pouvaient bien s’agiter contre Jean XXII et le menacer, s’il ne
regagnait pas la Ville éternelle, de créer un schisme en élisant un autre pape
qui occuperait vraiment le trône de saint Pierre [28] . L’ancien
bourgeois de Cahors avait su répondre aux princes de Rome, en ne leur accordant
que quatre chapeaux sur les seize qu’il avait imposés depuis son avènement.
Tous les autres chapeaux rouges étaient allés à des Français.
    — Voyez-vous, messire comte,
avait dit le pape Jean à Bouville, quelques jours plus tôt, lors de la première
audience, et s’exprimant par ce souffle de voix avec lequel il

Weitere Kostenlose Bücher