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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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vingt manières
et nappés de vingt sauces, se suivaient en procession sur des plats rutilants.
Le vin d’Arbois coulait comme de l’or dans les timbales. Les crus de Bourgogne,
du Lot ou du Rhône, accompagnaient les fromages.
    Le Saint-Père, pour sa part, se
contentait de grignoter du bout des gencives une cuillerée de pâté de brochet
et de sucer un gobelet de lait. Il s’était mis en tête que le pape ne devait
prendre que des aliments blancs.
    Bouville avait à traiter d’un
deuxième problème, et non moins délicat, pour le compte de Monseigneur de
Valois. Un ambassadeur se doit d’aborder de biais les questions
épineuses ; aussi Bouville crut parler fin en disant :
    — Très Saint-Père, la cour de
France a suivi avec beaucoup d’attention le concile de Valladolid qui fut tenu,
voici deux ans, par votre légat, et où il a été ordonné que les clercs eussent
à quitter leurs concubines…
    — … sous peine s’ils ne le
faisaient, enchaîna le pape Jean de sa petite voix rapide et étouffée, d’être
privés dans les deux mois de la tierce partie des fruits de leurs bénéfices, et
deux mois après d’un autre tiers, et encore après deux mois d’être privés de
tout. En vérité, messire comte, l’homme est pécheur même s’il est prêtre, et
nous savons bien que nous n’arriverons pas à supprimer tout péché. Mais au
moins, pour ceux qui s’y entêteront, cela emplira nos coffres qui servent à
faire le bien. Et beaucoup aussi éviteront de rendre publics leurs scandales.
    — Et ainsi les évêques
cesseront, comme ils ont trop coutume de le faire, d’assister en personne au
baptême et au mariage de leurs enfants illégitimes.
    Ayant dit cela, Bouville brusquement
rougit. Était-ce bien habile de parler d’enfants illégitimes justement devant
le cardinal du Pouget ? Un faux pas. Mais personne ne semblait y avoir pris
garde. Bouville se hâta donc de poursuivre :
    — Mais d’où vient, Très
Saint-Père, qu’une punition plus forte ait été décrétée contre les prêtres dont
les concubines ne sont pas chrétiennes ?
    — La raison en est bien simple,
messire comte, répondit le pape Jean. Le décret vise justement l’Espagne qui
compte quantité de Maures… où nos clercs recrutent bien facilement des
compagnes que rien ne gêne à forniquer avec la tonsure.
    Il se tourna légèrement dans son
grand siège, et un très bref sourire passa sur ses lèvres étroites. Il avait vu
la direction où l’ambassadeur du roi de France cherchait à tirer l’entretien.
Et maintenant il attendait, à la fois défiant et amusé, que messire de Bouville
eût avalé une gorgée, afin de se donner courage, et affecté un air faussement
aisé pour dire :
    — Il est certain, Très
Saint-Père, que ce concile a pris de sages édits qui nous serviront grandement
lors de la croisade. Car nous aurons maints clercs et aumôniers pour
accompagner nos armées, et qui s’avanceront en pays maure ; il serait
mauvais qu’ils donnassent l’exemple de la méconduite.
    Après quoi Bouville respira mieux,
le mot de croisade était dit.
    Le pape Jean plissa les paupières,
joignit les doigts.
    — Il serait mauvais également,
répondit-il posément, que la même licence se mît à proliférer dans les nations
chrétiennes pendant que leurs armées auraient affaire outre-mer. Car on a
toujours constaté, messire comte, que lorsque les armées de guerre sont loin à
se battre, et qu’on a puisé dans les peuples les combattants les plus
vaillants, il fleurit toutes sortes de vices dans ces royaumes comme si, la
force s’éloignant, le respect qu’on doit aux lois de Dieu partait du même coup.
Les guerres offrent de grandes occasions de péché… Monseigneur de Valois est-il
toujours aussi ferme sur cette croisade dont il veut honorer notre
pontificat ?
    — Eh bien ! Très
Saint-Père, les députés de la Petite Arménie…
    — Je sais, je sais, dit le pape
Jean en écartant et rapprochant ses maigres doigts. C’est moi-même qui ai
envoyé ces députés à Monseigneur de Valois.
    — Il nous parvient de toutes
parts que les Maures, sur les rivages…
    — Je sais. Les rapports me
parviennent en même temps qu’à Monseigneur de Valois.
    Les conversations particulières
s’étaient arrêtées le long de la grande table. L’évêque Pierre de Mortemart qui
accompagnait Bouville dans sa mission, et dont on disait qu’il serait bientôt
promu cardinal, prêtait

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