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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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belle de toutes mes
émeraudes.
    Les joues de la Boiteuse rosirent un
peu, et elle remercia d’une inclination de tête qui parut une indécence. On
pouvait être assuré qu’elle exigerait l’examen des émeraudes par un expert,
pour reconnaître la plus belle !
    — Item, à Charles mon fils
second, tous mes chevaux et palefrois, mon calice d’or, un bassin d’argent et
un missel.
    Charles d’Alençon se mit à pleurer,
bêtement, comme s’il ne prenait conscience de l’agonie de son père, et de la
peine qu’elle lui causait, qu’au moment où le moribond le citait.
    — Item, je laisse à Louis, mon
fils troisième, toute ma vaisselle d’argent…
    L’enfant se tenait collé à la jupe
de Mahaut de Châtillon ; celle-ci lui caressa le front d’un geste tendre.
    — Item, je veux et ordonne que
tout ce qui demeurera de ma chapelle soit vendu pour faire prier pour l’âme de
moi… Item, que tous les effets de ma garde-robe soient distribués aux valets de
ma chambre…
    Un remous discret se fit près des
fenêtres ouvertes, et les têtes se penchèrent. Trois litières venaient d’entrer
dans la cour du manoir, au sol couvert de paille pour étouffer le pas des
chevaux. D’une grande litière ornée de sculptures dorées et de rideaux brodés
des châteaux d’Artois, la comtesse Mahaut, pesante, monumentale, les cheveux
tout gris sous son voile, descendait ainsi que sa fille, la reine douairière
Jeanne, veuve de Philippe le Long. La comtesse était encore accompagnée de son
chancelier, le chanoine Thierry d’Hirson, et de sa dame de parage, Béatrice,
nièce de ce dernier. Mahaut arrivait de son château de Conflans près de
Vincennes, d’où elle ne sortait plus guère en ces temps pour elle hostiles.
    La seconde litière, toute blanche,
transportait la reine douairière Clémence, veuve de Louis Hutin.
    De la troisième litière, modeste,
aux simples rideaux de cuir noir, sortait avec quelque peine, et aidé seulement
de deux valets, messer Spinello Tolomei, capitaine général des Lombards de
Paris.
    Ainsi s’avançaient dans les couloirs
du manoir deux anciennes reines de France, deux jeunes femmes du même âge,
trente-deux ans, qui s’étaient succédé au trône, toutes deux vêtues de blanc,
entièrement, selon l’usage établi pour les reines veuves, toutes deux blondes
et belles, surtout la reine Clémence, et paraissant un peu comme deux sœurs
jumelles. Derrière elles, les dominant des épaules, marchait la redoutable
comtesse Mahaut dont chacun savait, mais sans avoir eu le courage d’en porter
témoignage, qu’elle avait tué le mari de l’une pour que l’autre régnât. Et puis
enfin, traînant la jambe, poussant le ventre, les cheveux blancs épars sur son
col et les griffes du temps plantées dans les joues, le vieux Tolomei qui avait
été, de près ou de loin, mêlé à toutes les intrigues. Parce que l’âge ennoblit
tout, et parce que l’argent est la vraie puissance du monde, parce que
Monseigneur de Valois, sans Tolomei, n’aurait pu épouser autrefois
l’impératrice de Constantinople, parce que, sans Tolomei, la cour de France
n’aurait pu envoyer Bouville chercher la reine Clémence à Naples, ni Robert
d’Artois soutenir ses procès et épouser la fille du comte de Valois, parce que
sans Tolomei la reine d’Angleterre n’aurait pu se trouver ici avec son fils, on
accorda au vieux Lombard qui avait tant vu, tant prêté, et s’était beaucoup tu,
les égards qui ne vont qu’aux princes.
    On se tassait contre les murs, on
s’effaçait pour libérer la porte. Bouville se mit à trembler quand Mahaut le
frôla.
    Isabelle et Robert d’Artois
échangèrent une interrogation muette. Tolomei entrant avec Mahaut, cela
signifiait-il que le vieux renard toscan travaillait aussi pour le compte de
l’adversaire ? Mais Tolomei, d’un sourire discret, rassura ses clients. Il
ne fallait voir, dans cette arrivée simultanée, qu’un hasard de route.
    L’entrée de Mahaut avait créé une
gêne dans l’assistance. Valois s’arrêta de dicter en voyant apparaître sa
vieille et géante adversaire, poussant devant elle les deux veuves blanches,
comme deux agnelles qu’on mène paître. Et puis Valois aperçut Tolomei. Alors sa
main valide, où brillait le rubis qui allait passer au doigt de son fils aîné,
s’agita devant son visage, et il dit :
    — Marigny, Marigny…
    On crut qu’il perdait l’esprit. Mais
non ; la vue de Tolomei lui rappelait

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