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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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être infligée à ce qui n’est plus ? Le châtiment… Quel
châtiment ? Le châtiment consistait peut-être à conserver la conscience
claire au moment de franchir le mur d’ombre.
    Enguerrand de Marigny avait eu lui aussi –
Charles de Valois ne pouvait se distraire d’y penser – la conscience
claire, la conscience encore plus claire d’un homme en pleine santé, en pleine
force, arraché à la vie non point par la rupture de quelque rouage secret de
l’être, mais par le vouloir d’autrui. Non pas la dernière lueur du cierge, mais
toutes les flammes soufflées d’un coup.
    Les maréchaux, les dignitaires, les
grands officiers qui avaient accompagné Marigny jusqu’au gibet, les mêmes ou
leurs successeurs dans les mêmes charges, étaient là, en ce moment, autour de
lui, emplissant toute la chambre, débordant dans la pièce voisine au-delà de la
porte, et avec les mêmes regards d’hommes conduisant un des leurs à la dernière
pulsation de son cœur, étrangers à la fin qu’ils guettent, et tout entiers dans
un avenir dont le condamné est éliminé.
    Ah ! Comme on donnerait toutes
les couronnes de Byzance, tous les trônes d’Allemagne, tous les sceptres et
tout l’or des rançons, pour un regard, un seul, où l’on ne se sente pas
éliminé ! Du chagrin, de la compassion, du regret, de l’effroi, et les
émotions du souvenir : on rencontrait tout cela dans le cercle d’yeux de
toutes couleurs qui entouraient un lit de prince mourant. Mais chacun de ces
sentiments n’était qu’une preuve de l’élimination.
    Valois observait son fils aîné,
Philippe, ce gaillard à grand nez, debout auprès de lui sous le dais, et qui
serait, qui allait être, demain, ou un jour tout proche, ou dans une minute
peut-être, le seul, le vrai comte de Valois, le Valois vivant ; il était
triste comme il convenait de l’être, le grand Philippe, et pressait la main de
sa femme, Jeanne de Bourgogne la Boiteuse ; mais soucieux aussi de son
attitude, à cause de cet avenir devant lui, il semblait dire aux
assistants : « Voyez, c’est mon père qui meurt ! » Dans ces
yeux là aussi Valois était déjà effacé.
    Et les autres fils… Charles
d’Alençon qui, lui, évitait de croiser le regard du moribond, se détournant
lentement lorsqu’il le rencontrait ; et le petit Louis, qui avait peur,
qui paraissait malade de peur parce que c’était la première agonie à laquelle
il assistait… Et les filles… Plusieurs d’entre elles étaient présentes :
la comtesse de Hainaut, qui faisait un signe, de temps à autre, au serviteur
chargé d’essuyer la bouche, et sa cadette, la comtesse de Blois, et plus loin
la comtesse de Beaumont auprès de son géant époux Robert d’Artois, tous deux
faisant groupe avec la reine Isabelle d’Angleterre et le petit duc d’Aquitaine,
ce garçonnet à longs cils, sage comme on l’est à l’église, et qui ne garderait
de son grand-oncle Charles que ce seul souvenir.
    Il semblait à Valois que l’on
complotait de ce côté-là ; on y préparait un avenir également dont il
était éliminé.
    S’il inclinait la tête vers l’autre
bord du lit, il rencontrait, droite, compétente, mais déjà veuve, Mahaut de
Châtillon-Saint-Pol, sa troisième épouse. Gaucher de Châtillon, le vieux
connétable, avec sa tête de tortue et ses soixante-dix-sept ans, était en train
de remporter encore une victoire ; il regardait un homme plus jeune de
vingt ans s’en aller avant lui.
    Étienne de Mornay et Jean de
Cherchemont, tous deux anciens chanceliers de Charles de Valois avant d’être
devenus tour à tour chanceliers de France, Miles de Noyers, légiste et maître
de la Chambre des Comptes, Robert Bertrand, le chevalier au Vert Lion, nouveau
maréchal, le frère Thomas de Bourges, confesseur, Jean de Torpo, physicien,
étaient tous là pour l’aider, chacun au titre de sa fonction. Mais qui donc
aide un homme à mourir ? Hugues de Bouville essuyait une larme. Sur quoi
pleurait-il, le gros Bouville, sinon sur sa jeunesse enfuie, sa vieillesse
prochaine, et sa propre vie écoulée ?
    Certes, un prince qui meurt est plus
pauvre homme que le plus pauvre serf de son royaume. Car le pauvre serf n’a pas
à mourir en public ; sa femme et ses enfants peuvent le leurrer sur
l’imminence de son départ ; on ne l’entoure pas d’un apparat qui lui
signifie sa disparition ; on n’exige pas de lui qu’il dresse, in extremis,
constat de sa propre fin. Or,

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