La Louve de France
latin, comme s’ils se fussent envoyé les
répons des prières pour les agonisants.
Le chanoine d’Hirson possédait la
copie d’une très intéressante lettre d’un certain évêque anglais qui signait
« O », adressée à la reine Isabelle, lettre qui avait été dérobée à
un commerçant italien pendant son sommeil, dans une auberge d’Artois. Cet
évêque « O » conseillait à la destinataire de ne point revenir pour
l’heure, mais de se faire le plus de partisans qu’elle pourrait en France, de
réunir mille chevaliers et de débarquer avec eux pour chasser les Despensers et
le mauvais évêque Stapledon. Thierry d’Hirson avait sur lui cette copie.
Monseigneur Stapledon souhaitait-il en prendre connaissance ? Un papier
passa du camail du chanoine aux mains de l’évêque, qui y jeta les yeux et y
reconnut le style habile, précis, d’Adam Orleton. Si Lord Mortimer, ajoutait celui-ci,
prenait le commandement de l’expédition, toute la noblesse anglaise se
rallierait en quelques jours.
L’évêque Stapledon se rongeait le
coin du pouce.
— Ille baro de Mortuo Mari
concubinus Isabellæ reginæ aperte est, [36] précisa Thierry
d’Hirson.
L’évêque d’Exeter en voulait-il des
preuves ? Hirson lui en fournirait quand il voudrait. Il suffisait
d’interroger les serviteurs, de faire surveiller les entrées et sorties du
palais de la Cité, de demander simplement leur avis aux familiers de la cour.
Stapledon enfouit la copie de la
lettre dans sa robe, sous sa croix pectorale.
Monseigneur de Valois, pendant ce
temps, avait nommé les exécuteurs de son testament. Son grand sceau, fait d’un
semis de fleurs de lis entouré de l’inscription : « Caroli regis
Franciæ filli, comitis Valesi et Andegaviae » [37] s’était imprimé
dans la cire coulée sur les lacets qui pendaient au bas du document.
L’assistance commençait à évacuer la chambre.
— Monseigneur, puis-je
présenter à votre haute et sainte personne ma nièce Béatrice, damoiselle de
parage de la comtesse ? dit Thierry d’Hirson à Stapledon en désignant la
belle fille brune, au regard coulant et aux hanches ondoyantes, qui
s’approchait d’eux.
Béatrice d’Hirson baisa l’anneau de
l’évêque ; puis son oncle lui dit quelques mots à voix basse. Elle
rejoignit alors la comtesse Mahaut et lui murmura :
— C’est chose faite, Madame.
Et Mahaut, qui se tenait toujours à
proximité d’Isabelle, avança sa grande main pour caresser le front du jeune
prince Édouard.
Puis chacun repartit pour Paris.
Robert d’Artois et le chancelier, parce qu’ils avaient à veiller aux tâches de
gouvernement. Tolomei, parce que ses affaires l’appelaient. Mahaut, parce que,
sa vengeance mise en route, elle n’avait plus rien à faire là. Isabelle, parce
qu’elle désirait au plus tôt parler à Mortimer, les reines veuves parce qu’on
n’eût pas su où les loger. Même Philippe de Valois eut à regagner Paris, pour
l’administration de ce gros comté dont il était déjà le tenant de fait.
Il ne resta auprès du moribond que
sa troisième épouse, sa fille aînée la comtesse de Hainaut, ses plus jeunes
enfants et ses proches serviteurs. Guère plus de monde qu’autour d’un petit
chevalier de province, alors que son nom et ses actes avaient tant agité le
monde, depuis les bords de l’Océan jusqu’aux rives du Bosphore.
Et le lendemain, Monseigneur Charles
de Valois respirait toujours, et le surlendemain encore. Le connétable Gaucher
avait vu juste ; la vie continuait à se battre dans ce corps foudroyé.
Toute la cour, pendant ces jours-là,
se transporta à Vincennes, pour l’hommage que le jeune prince Édouard, duc
d’Aquitaine, rendit à son oncle Charles le Bel.
Puis, à Paris, une pièce
d’échafaudage chut tout près de la tête de l’évêque Stapledon ; une
passerelle, le lendemain, se rompit sous les fers de la mule du clerc qui le
suivait. Un matin qu’il s’éloignait de son logis à l’heure de la première
messe, Stapledon se trouva nez à nez dans une rue étroite avec Gérard de
Alspaye, l’ancien lieutenant de la tour de Londres, et le barbier Ogle. Les
deux hommes paraissaient se promener, insouciants. Mais sort-on de chez soi à
pareille heure, simplement pour entendre chanter les oiseaux ? Dans une
encoignure se tenait aussi un petit groupe d’hommes silencieux parmi lesquels
Stapledon crut reconnaître le visage chevalin du baron Maltravers. Un convoi
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