La malediction de la galigai
paroisses des vicomtés d'Ãvreux, de Mantes et Vernon, fut convoqué dans cette dernière ville par le gouverneur. La veille, son sergent l'avait informé de l'incroyable rapinage des tailles qu'il venait d'apprendre sans en connaître les détails.
Comme tous les lieutenants du prévôt de Rouen, Louis de Tilly assurait la police et la justice dans les campagnes. Quand, avec ses archers et sergents armés d'arquebuses et de pertuisanes 1 , il prenait maraudeurs ou larrons en flagrant délit, il les pendait donc sur place, bénéficiant du pouvoir de prendre des décisions sans appel. Certains territoires échappaient cependant à sa juridiction. Les villes, bien sûr, qui disposaient d'un prévôt, d'un lieutenant civil ou d'un lieutenant criminel, les berges de la Seine, qui dépendaient du vicomte de l'Eau et de ses lieutenants, et enfin les justices féodales, quand elles avaient droit de haute justice.
Au château de Vernon, la réunion était prévue au sein du jeu de paume, la seule grande salle encore en bon état de la forteresse féodale. Apparemment, le gouverneur ne voulait pas tenir cette conférence dans son manoir, sans doute afin d'être moins impliqué par la suite.
Le prévôt de Vernon Jacques Langlois, le gouverneur, le vicomte et gouverneur du château, M. de Bordeaux, trônaient sur des chaises tapissées. De part et d'autre, sur des bancs à dossier, siégeaient les autres lieutenants du prévôt de Rouen, le lieutenant de la vicomté de l'Eau, les receveurs des aides et tailles de Mantes et de Vernon, le greffier du bailli, le capitaine des gardes des forêts et le maître du pont de Vernon. Le visage grave et inquiet, aucun n'ignorait que le maréchal d'Ancre pendait ceux qui contestaient sa politique. Comment traiterait-il alors des officiers royaux ayant laissé voler la recette de son gouvernorat ?
La conférence commença dès que Louis de Tilly se fut assis. Le gouverneur résuma d'abord les faits survenus la veille. La partie de la Seine où avait eu lieu le vol dépendait de la vicomté de Mantes, mais le convoi et l'escorte étant partis de Vernon, les autorités de cette ville seraient incriminées pour ne point avoir assuré la sécurité du transport. Le gouverneur avait déjà averti le maréchal d'Ancre à Rouen, mais n'avait encore reçu aucune réponse.
Après cet exposé, il céda la parole à l'officier qui commandait les mousquetaires d'escorte.
Homme dans la trentaine au teint blafard, aux cheveux en bataille et à la barbiche en pointe non peignée, arborant des poches sombres sous les yeux, des traits tirés et un visage affichant son désespoir, les mains tremblantes sans qu'il puisse les maîtriser, il se savait sur le point de perdre sa charge et de subir des peines infamantes pour s'être fait voler un million de livres. Il fit cependant le récit de l'exaction avec une grande précision et reconnut ne jamais avoir imaginé qu'une petite gribane à voile s'attaquerait avec tant d'audace à la gabarre de transport de la recette des tailles. Il avait seulement compris que quelque chose d'anormal se produisait lorsque l'un des mousquetaires avait crié que des mariniers sautaient d'un bord à l'autre.
à la question de Louis de Tilly, étonné que les bateliers n'aient pas donné l'alerte, l'officier répondit que ces derniers avaient tous été tués d'une flèche d'arbalète, sauf le dernier, d'un coup de hache. Personne n'avait donc rien entendu.
Il poursuivit, expliquant que la gribane s'était ensuite engouffrée entre deux îles, dans un bras mort de la rive droite, avec la gabarre en remorque. Ne pouvant traverser la rivière, il avait envoyé des gens d'armes à la maison du passeur, toute proche, mais la coque de son bac avait été percée.
Les exclamations de stupéfaction rassérénèrent un peu l'officier, qui reprit :
â J'ai tenté d'arrêter l'une des barques qui descendait le fil du fleuve, et je venais d'y parvenir quand la gribane est ressortie du bras mortâ¦
De nouveau, résonnèrent des interjections de surprise.
â La barque a suivi le cours de la rivière. Avec sa grande voile, elle s'est très vite éloignée, navigant adroitement entre les bancs de sable. J'ai immédiatement
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