La malediction de la galigai
gisait-il lui aussi au fond de la Seine, le ventre ouvert à nourrir les poissons ? Les Italiens n'avaient aucune raison de l'avoir laissé en vie.
C'est alors qu'une idée jaillit. Si les Italiens n'avaient pas tué Mondreville, pourquoi ne le débarrasseraient-ils pas de Tilly ? Ils en étaient certainement capables. Or, le lieutenant du prévôt mort, l'enquête s'enliserait.
*
Le lendemain, sommairement grimé, il s'installa dans un cabaret proche de Notre-Dame, près d'une fenêtre ouverte d'où il voyait le logis à pans de bois de Mondreville.
Un peu avant none, il vit sortir une vieille domestique. C'était une chance à saisir. La rejoignant, il l'interpella et l'interrogea.
â Monsieur Mondreville ? Il est parti il y a trois jours. J'ignore où il est ! Peut-être à Rouen, bien qu'habituellement, il me prévienne.
Petit-Jacques reprit sa surveillance, mais, au bout de plusieurs heures, conclut que Mondreville devait être mort. Il s'apprêtait à partir quand un second signe du destin lui vint : le commis apparut, tenant en bride un cheval qu'il conduisait dans une écurie.
Aussitôt, Petit-Jacques sortit et l'interpella.
â Il faut qu'on parle, l'ami !
Mondreville s'arrêta, stupéfait puis terrorisé en reconnaissant son complice.
â Comment m'avez-vous trouvé ? balbutia-t-il d'une voix blanche.
â C'est pas important ! répliqua l'autre en l'entraînant manu militari vers une ruelle en cul-de-sac. L'un de mes hommes n'est pas mort sur le coup, ajouta-t-il en lui parlant dans l'oreille, et a donné votre nom au prévôt.
â N⦠non ! gémit Mondreville, brusquement aussi pâle qu'un trépassé.
â Où pouvons-nous parler ?
â Chez moi.
Ãcartant la vieille domestique qui bénissait le ciel de son retour, le commis de Vernon conduisit Petit-Jacques dans sa chambre, pièce unique de l'étage. Il s'assit sur son lit, laissant une escabelle à son visiteur qui lui raconta ce qu'il savait.
â Je peux prévenir les Italiens, réfléchit à haute voix Mondreville après un moment, mais s'ils apprennent que les autorités sont sur nos traces, la mienne en particulier, je crains que ce ne soit moi qu'ils fassent taire définitivement. Quant à nous débarrasser nous-mêmes du prévôt, je ne vois comment faire.
Les deux hommes restèrent silencieux. Petit-Jacques avait souvent tué, et de la plus violente des façons. Aussi, donner la mort ne lui faisait-il pas peur, bien que faire passer à trépas un prévôt conduisît à la roue après avoir eu les poings coupés ou brûlés. Seulement, il ignorait comment approcher Louis de Tilly.
â Si nous le surveillions ? proposa Mondreville.
â Je crois qu'il habite Tilly. Le village étant petit, on nous repérera.
â Il a en effet un manoir là -bas, dont ses ancêtres étaient les seigneurs. Je le sais, car ma famille vient de la seigneurie voisine de Mondreville.
â Nous pourrions laisser nos chevaux à Longnes, située à une lieue, et nous rendre à Tilly en nous faisant passer pour des pèlerins se dirigeant vers Compostelle, suggéra Petit-Jacques. J'ai déjà agi ainsi. Sur place, en faisant croire que nous sommes malades, l'église nous hébergera quelques jours et on trouvera une occasion favorable de le faire disparaître.
â Bonne idée ! Je sais où dénicher de vieux sayons à capuche et des coquilles.
*
Tilly habitait la plus grande maison du petit village de Tilly, non loin de l'église, un de ces vieux manoirs normands à pans de bois comme il en existait dans chaque seigneurie. Les murs épais étaient bâtis sur de gros poteaux verticaux et obliques posés sur un soubassement de pierre, les interstices remplis d'un mélange de terre argileuse et de paille, recouvert d'un enduit de chaux. Deux tourelles d'angle, aux épais colombages, permettaient de surveiller les abords et un fenil s'appuyait sur un flanc de l'édifice.
La bâtisse était le seul reste de la grandeur passée de sa famille. Louis de Tilly y demeurait avec sa femme, son jeune fils et une poignée de domestiques dont de solides gaillards sachant manier l'épée et le mousquet, les pendards courant nombreux les campagnes.
Au
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