La malediction de la galigai
monsieur mon père.
â Je range ce document et je viens.
â Quand je serai grand, j'écrirai comme vous, et moi aussi je chasserai les brigands.
â Sûrement, mon fils, dit Louis, préoccupé.
Il hésitait. Devait-il faire porter ce texte au prévôt des maréchaux ? S'il le faisait, celui-ci le transmettrait au gouverneur de Normandie, et des proches de Concini en auraient connaissance. Or, parmi eux, pouvait se cacher l'organisateur du vol.
Il se leva pour s'approcher de la grande armoire, l'un des trois gros meubles dans la chambre avec le lit à piliers et la table.
â Allez-vous ouvrir votre coffre secret, monsieur mon père ?
â Oui, je vais ranger ce mémoire.
Le prévôt des maréchaux poussa l'armoire qui glissait sur de petites roues de fer. Son fils l'aida et il le félicita de sa force. Derrière, dans le mur, se dissimulait une porte de fer sur laquelle étaient gravés un blason et une devise. M. de Tilly prit une clef dans un tiroir de l'armoire et l'ouvrit. Le coffre contenait quelques papiers de famille, des lettres de son père et une centaine d'écus. Il rangea le document et referma soigneusement l'huis.
â Mon père, bien que je sache un peu lire, je ne comprends pas ce qui est écrit sur la porte.
â C'est la devise de notre famille, mon fils : Nostro sanguine tinctum . Cela veut dire que notre sang colore et que nous ne l'épargnerons jamais pour notre souverain. Un de tes ancêtres ayant sauvé la vie du roi de France, nous avons l'honneur de posséder une fleur de lys dans nos armes.
Quelqu'un pouvait l'aider, songea-t-il alors, en se remémorant la bataille d'Ivry et Henri IV. Celui qui avait été son capitaine là -bas : Maximilien de Béthune, le baron de Rosny et présentement duc de Sully. Peut-être connaîtrait-il ce Nardi.
*
De Tilly à Rosny, il y avait un peu plus de trois lieues que Louis de Tilly fit en deux heures le lendemain.
Maximilien de Béthune avait fait édifier son château quelque trente ans plus tôt sur l'emplacement d'un vieux manoir brûlé pendant la guerre de Cent Ans. C'était un corps de logis en brique et en pierre flanqué de deux pavillons. à cinquante-six ans, écarté de la surintendance des Finances à la mort de son maître Henri IV, le duc vivait désormais loin de la Cour, quand il ne séjournait pas à Figeac, ville dont son fils était gouverneur. Il travaillait chaque jour à ses mémoires. Aussi reçut-il le lieutenant du prévôt dès son arrivée, tant il appréciait des visites⦠de plus en plus rares.
Louis lui raconta le vol, dont Sully était déjà informé, mais surtout en détailla l'invraisemblable audace. Il insista ensuite sur l'incroyable connaissance qu'avaient les voleurs, sachant parfaitement à quelle heure ils devraient tendre leur guet-apens au transport de fonds. Enfin, il évoqua les Italiens dénoncés par le complice de Petit-Jacques retrouvé éventré.
â Balthazar Nardi, dites-vous ? demanda le duc en lissant sa belle et longue barbe.
â Oui, monseigneur.
â J'ai entendu parler d'un Balthazar Nardi. Il aurait fait ses études avec Concini, dont il est très proche, et se prétend archiprêtre. Il est arrivé en France, voici deux ans je crois, venant de Florence où il officiait comme avocat. Il voyage beaucoup : Angleterre, Irlande, Hollande. On le dit moitié aventurier et moitié espion.
â Croyez-vous, si c'est lui, qu'il ait agi à son compte ?
â J'en doute ! S'il est le voleur de la recette des tailles, il a commis ce forfait pour le Conchine  ! cracha Sully avec un infini mépris.
â Cela expliquerait que cette bande ait si bien été renseignée. Petit-Jacques ne pouvait avoir meilleure information que celle provenant du gouverneur de Normandie lui-même.
â Imaginez-vous un moyen plus rapide de s'enrichir ? Prendre directement l'argent des impôts ! plaisanta aigrement l'ancien surintendant des Finances.
â Que puis-je faire, monsieur le duc ? Si je rapporte ce que je sais dans un mémoire, ce dernier aboutira immanquablement sur le bureau du maréchal d'Ancre. Ma vie n'aura alors plus aucune valeur !
â Donc ne le faites pas ! D'autant qu'il
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