La malediction de la galigai
droit et la bouche en sang. Comme seul le valet gémissait, Petit-Jacques descendit de cheval, avisa une grosse pierre, la saisit et lui cassa la tête.
Tandis que Mondreville â un peu effaré par la gravité du meurtre qu'ils venaient de commettre â vérifiait que tout le monde était mort, Petit-Jacques retira la flèche de la poitrine du cocher et enfonça, à sa place, une écharde du coche. Puis il fouilla le prévôt, déroba son argent et la lettre du duc de Sully.
6
Le vendredi 15Â avril 1617
L es deux assassins, excités, reprirent la route de Vernon, l'effroyable crime installant entre eux une trouble connivence. Si pour Petit-Jacques ce n'était que quelques meurtres de plus, Mondreville â après sa première appréhension â éprouvait maintenant une enivrante impression, mélange de honte et de toute-puissance. Lui qui avait toujours été soumis à des maîtres exigeants et tatillons, lui qui, à la dérobée, falsifiait des écritures pour voler de petites sommes, venait de découvrir qu'on pouvait satisfaire ses désirs en tuant.
Or, depuis son départ de la maison aux armes des Valois, une pensée l'obsédait : un million de livres dormait dans les caves de cet hôtel. Pourquoi ne pas se l'approprier ?
Petit-Jacques, qui savait lire, avait ouvert la lettre de Sully. Elle était adressée au roi. Le duc y révélait que le vol des tailles de Normandie avait été préparé par le maréchal d'Ancre et suppliait humblement Sa Majesté de recevoir et d'écouter le prévôt Tilly qui conduisait l'enquête. Il concluait en demandant au roi de se méfier, car Concini allait utiliser le fruit de ses rapines pour lever une armée afin de faire la loi dans le Louvre et à Paris.
Ni Mondreville ni Petit-Jacques n'étant nommés, le brigand en fut soulagé.
â Vous ne m'avez pas demandé où je suis allé avec les Italiens, lança Mondreville après avoir lu la lettre à son tour.
â à dire vrai, sachez que, dans certaines affaires, je ne suis pas curieux. J'ai été payé, et cela me suffit.
Mondreville digéra la réponse avant de questionner.
â Qu'allez-vous faire de votre part ?
â Acheter deux ou trois barques et me lancer dans le commerce. J'aspire à une autre vie.
De nouveau, ils se turent, chevauchant côte à côte. Mondreville ne savait comment présenter son dessein.
â Voyez-vous, j'ai reçu seulement cinq mille livres, dit-il enfin. Et eux ont gardé le million.
â Sauf les cinquante mille livres qu'ils m'ont laissées.
â Je sais où ils ont entreposé les caisses⦠ajouta l'ancien commis.
Petit-Jacques resta silencieux un long moment, comme s'il n'avait pas entendu, puis considéra Mondreville avec un sourire intéressé.
â Croyez-vous qu'on pourrait les leur reprendre ?
L'autre grimaça avant de soupirer.
â Ãa, je ne sais pas !
â Dites-m'en plus.
Mondreville raconta tout depuis le début. La fraude qu'il pratiquait sur les tailles, son interpellation, sa rencontre avec Concini, la maison de la rue de Tournon et la présence de la Galigaï.
â Comme vous le pensez, l'or doit être rangé dans une cave, mais de quelle manière entrer dans cette maison ?
â Ãa me paraît difficile tant elle est bien protégée. Toutefois, si nous y parvenions, l'endroit est inhabité. Personne ne nous gênerait.
Il lui décrivit les murs, le portail, les grilles aux fenêtres.
â Vous dites que la maréchale d'Ancre est partie en descendant un escalier ! Un souterrain mène peut-être à l'hôtel du maréchalâ¦
â C'est ce à quoi j'ai pensé.
Petit-Jacques médita tandis que les chevaux progressaient.
â Il faudrait non seulement pénétrer dans la maison, mais faire entrer un chariot dans la cour afin de transporter l'or. On ne manquera pas de nous remarquer, surtout si le maréchal d'Ancre loge à son hôtel.
â Alors, agissons quand il n'est pas à Paris.
â Certes, mais comment le savoir ? Nous pourrions attendre longtemps et d'ici là , l'or aura été déplacé. Non, il faut le voler maintenant.
De nouveau ils se turent, jusqu'Ã ce que Mondreville
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