La malediction de la galigai
suggère :
â Et si nous faisions peur à Sa Majesté ?
â Pardon ?
â Je pensais à la lettre de Sully. En contrefaisant l'écriture du duc, je pourrais écrire un courrier un peu différent. J'accuserai Concini du vol en donnant des détails irréfutables. J'y ajouterais qu'avec le million dérobé, le maréchal d'Ancre cherche à s'emparer du Louvre. Je ne ferais que développer ce que suggérait Sully.
â Et alors ?
â Alors le roi prendra peur ! Soit il fera arrêter Concini, soit il s'enfuira de Paris pour se mettre à l'abri. Et si Concini était arrêté, nous aurions la voie libreâ¦
â Sinon ?
â Que fera Concini si le roi s'enfuit ?
â Il le poursuivra, tentera de le rattraper.
â C'est cela. Dans tous les cas, il ne se trouvera pas à Paris et nous aurons la voie libre.
â Ãa se tente, reconnut Petit-Jacques, réprimant une moue dubitative. Après tout, nous possédons cette lettre, gros avantage, et personne ne nous imaginera derrière une telle manigance. Mais êtes-vous capable d'écrire un faux courrier ?
â J'imitais souvent les écritures pour falsifier les registres des tailles.
â Vous ne pourrez fermer le pli avec le cachet de Sully.
â Je ne chercherai qu'à imiter son écriture. Il suffit que le roi et ses amis devinent d'où elle vient. Ils penseront que Sully ne veut pas être mis en cause si la lettre s'égarait dans les mains du maréchal d'Ancre.
Petit-Jacques approuva d'un signe de tête. Finalement, ce Mondreville était un habile compagnon, songea-t-il.
â Allons chez vous. Vous rédigerez cette lettre et nous partirons pour Paris demain matin, décida-t-il.
*
Ils chevauchèrent toute la journée et prirent une chambre au faubourg Saint-Honoré, à l'hôtellerie des Trois-Pigeons située devant l'église Saint-Roch.
Le lendemain samedi, Petit-Jacques, qui avait acheté des habits bourgeois chez un fripier, se rendit dans la tortueuse rue de l'Autriche séparant l'hôtel du Petit-Bourbon du Louvre. Il avait besoin de voir le palais, mais craignait d'être refoulé ou, pis, arrêté.
L'entrée se faisait par le corps de garde du pont dormant adossée à l'ancienne enceinte érigée par Philippe Auguste. Les allées et venues étaient incessantes, car beaucoup de gentilshommes se rendaient au jeu de paume, installé un peu plus bas. Ceux qui entraient n'étaient pas interrogés, mais étaient certainement connus des sentinelles.
Après plus d'une heure d'hésitation, Petit-Jacques vit arriver une délégation de marchands ou de membres du corps de ville. Soit une cinquantaine de bourgeois en robe, dont plusieurs sur des mules. Le groupe s'arrêta un instant au corps de garde, mais comme il devait être attendu, il le franchit sans difficultés. Petit-Jacques se glissa parmi leurs serviteurs.
La cour Carrée grouillait de gentilshommes, d'hommes de loi, de religieux, de valets, d'huissiers et de gardes. Bénéficiant de sa couverture, Petit-Jacques tentait de surprendre une conversation lui permettant d'identifier un proche du roi quand il fut bousculé par une troupe d'Italiens s'exprimant avec superbe, main sur la garde de leur épée, en jetant des regards insolents aux Français. Alarmé à l'idée que Nardi ou Gramucci puisse se trouver parmi eux, Petit-Jacques mit une main sur sa bouche afin de dissimuler son visage et s'éloigna au plus vite.
Il aperçut alors deux jeunes gens en compagnie d'un gentilhomme d'une quarantaine d'années qui considéraient les Italiens sans aménité. S'approchant d'eux, il s'inclina servilement.
â Messieurs, dit-il, je suis bourgeois de Paris. J'étais tout à l'heure devant la boutique d'un orfèvre, rue Saint-Honoré, pour me renseigner sur le prix d'un gobelet d'argent quand un gentilhomme m'a abordé en me suppliant de me rendre au Louvre pour remettre un placet à Sa Majesté. Je suis venu, mais je ne sais comment m'y prendre. En voyant votre mine franche et honnête, j'ai pensé que vous pourriez le faire.
â Que n'est-il venu lui-même, ce gentilhomme ? répliqua avec morgue celui à qui il s'était adressé.
Il avait un visage fin, un front très large, des cheveux bouclés,
Weitere Kostenlose Bücher