La malediction de la galigai
de passer d'une prison à une autre. Au demeurant, les réfugiés de Soissons étaient presque vaincus par le nouveau ministre de la Guerre de Concini, Armand du Plessis de Richelieu, qui avait pris la plupart de leurs places fortes.
â Il est trop tard pour la fuite, Sire, remarqua timidement Louis Tronson. Vous êtes continuellement surveillé ici et Concini vous rattrapera sans peine. Avec le million qu'il vous a volé, il sera encore plus puissant. Vous devez vous montrer plus rapide que lui.
Louis XIII lui jeta un regard étonné.
â Il ne reste que l'arrestation, Sire, renchérit Déageant.
Tronson et Déageant avaient toujours été partisans de l'emprisonnement du maréchal d'Ancre et de sa mise en jugement devant le Parlement. Il y avait pourtant une nuance entre eux : Déageant affirmait que tuer Concini à cette occasion serait plus sûr, ce que Tronson réfutait.
â Nous trouverons bien dans les papiers de Concini des documents prouvant son attitude criminelle, affirma Tronson.
â Certainement ! approuva le roi d'un ton velléitaire. Je le ferai embastiller et juger par le Parlement.
â Mais qui l'arrêtera ? s'enquit Luynes d'un ton ironique.
Un lourd silence tomba dans la chambre. C'était précisément le problème. Aucun d'eux n'en était capable ou n'en avait le courage. Le maréchal n'allait nulle part sans être accompagné d'estafiers armés jusqu'aux dents et d'une immense troupe de gentilshommes à sa solde disposés à mettre l'épée à la main pour le défendre. Quelques jours plus tôt, Luynes avait approché M. de Mesmes, le lieutenant civil, pour lui demander s'il accepterait d'arrêter l'Italien. Celui-ci avait répondu vouloir bien le faire, mais qu'il serait incapable de le prendre par la force s'il résistait. Quant à le tuer froidement, il avait refusé.
â Vous n'avez pas le choix, Sire, poursuivit le grand fauconnier. Il faut agir comme Henri III avec le duc de Guise. La prochaine fois que le maréchal d'Ancre viendra dans votre cabinet, j'imiterai le duc de Bellegarde 3 .
Le roi resta silencieux. Il désapprouvait mais comprenait que c'était le seul moyen de sauver sa vie et son trône.
Les conjurés se séparèrent sur cet accord.
*
Dans les jours qui suivirent, Louis XIII parvint à faire venir Concini dans son cabinet. Le maréchal était seul et Luynes armé, mais à aucun moment l'aventurier italien â qui se méfiait sans doute â ne tourna le dos au grand fauconnier. Aussi Luynes n'osa-t-il le poignarder de face.
Le soir même, les conjurés se réunirent à nouveau.
Si le roi avait longtemps rejeté l'assassinat de Concini, il était dépité que son fauconnier n'ait eu le courage de frapper. Pourtant, Luynes s'était justifié : de face, il aurait seulement pu le blesser, Concini aurait appelé à l'aide et ses gentilshommes se seraient précipités. L'un d'eux aurait alors pu s'en prendre à Sa Majesté.
Sachant peu évident de pouvoir attirer une seconde fois Concini dans le cabinet royal, Luynes suggéra une autre entreprise : il avait approché le baron de Vitry, un des capitaines des gardes. Emporté et violent, ce dernier était un duelliste acharné et l'un des rares à la Cour qui n'ait jamais courbé la tête devant Concini. Il ne le saluait jamais et le maréchal d'Ancre le détestait !
â Le baron est capable d'arrêter le maréchal, expliqua Luynes, et comme il aura ses gardes avec lui, il ne craindra rien des gentilshommes de l'Italien. J'ai pensé que le colonel d'Ornano et ses Corses pourraient le seconder.
â Vitry a-t-il accepté ? demanda Déageant.
â Il veut rencontrer Votre Majesté avant de prendre sa décision, répondit seulement Luynes.
Le lendemain, le même groupe se rassembla dans la chambre du roi, où le baron de Vitry fut convié.
Louis XIII affirma avoir les preuves que Concini était un voleur et un assassin, donc qu'il fallait mettre fin à ses rapines. Il devait être arrêté et jugé. Luynes, véhément, rappela de son côté toutes les exactions du maréchal d'Ancre et les humiliations que le jeune roi avait dû subir. Des propos qui attisèrent la colère du baron, lequel aimait fort son
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