La malediction de la galigai
L'écriture était maladroite, le pli en papier rugueux plein de taches d'encre. Hercule lui expliquait aussi regretter ne pas s'être suffisamment occupé de lui, mais qu'il en aurait été incapable. Il lui demandait de le pardonner et de faire dire des messes à sa mémoire.
Ensuite, il se confiait sur son frère Louis, ce frère qu'il n'avait jamais revu de son vivant, leur fâcherie datant de son entrée dans l'armée du duc de Mayenne, ce frère qu'il avait pourtant beaucoup aimé durant leur jeunesse. Par égard envers lui, il s'était rendu plusieurs fois à l'endroit où la voiture avait versé. C'était après Longnes, là où le chemin descendait brusquement vers Mantes et la Seine. Au début de la descente, les chevaux s'étaient emballés et le carrosse s'était retourné.
Hercule avait toutefois du mal à comprendre comment de placides roussins avaient pu s'affoler ainsi. Il avait interrogé bien des gens, jusqu'au jour où une vieille femme lui avait raconté que son mari, qui braconnait ce jour-là , avait vu les chevaux s'emballer et le coche verser. Mais il avait aussi aperçu deux hommes à cheval près du véhicule. Deux hommes qui s'étaient éloignés sans donner l'alerte.
Hercule était allé raconter sa découverte au lieutenant du prévôt de Rouen, M. Mondreville, l'homme le plus riche du pays. Ce dernier avait écouté son histoire avec indifférence avant de lui dire que ce n'était que des divagations. Comme Hercule de Tilly insistait, Mondreville l'avait jeté dehors. Or il avait appris peu après, par un vieux sergent de son père dont le fils servait Mondreville, que ce dernier s'inquiétait de l'enquête qu'il menait. Pis, un soir, il avait été pris à partie par une bande de faquins dirigée par le fils de Mondreville, malfaisant qui terrorisait le pays. Ces canailles l'avaient battu. Avec un seul bras, et à son âge, que pouvait-il faire ? Il n'avait pas voulu demander à son neveu de l'aider, tant ses suspicions étaient infimes. Hercule avait donc interrompu ses recherches.
Mais on lui avait rapporté d'autres ragots. Le vieux sergent de son père avait prétendu que Mondreville n'était pas seigneur du lieu quand son père était prévôt. Que celui de l'époque vivait à Rouen et avait vendu la seigneurie plus tard. C'était quelque chose qu'il n'avait pu vérifier. D'autres prétendaient l'inverse. Une femme qui n'avait plus sa tête lui avait assuré que Mondreville faisait la cour à sa mère. La seule chose certaine était que Mondreville s'était inquiété quand il lui avait rapporté ses connaissances sur l'accident.
Hercule concluait en suppliant Gaston d'être prudent s'il s'intéressait à cet homme féal du duc de Longueville et du prince de Condé. Ses derniers mots étaient :
« â¦Â Je n'ai pas eu le courage d'aller plus loin, mon neveu. Sache que je t'ai aimé et fais ce que tu dois.
« Ton oncle affectionné. »
*
Armande rejoignit son époux après avoir donné des ordres à la cuisinière au sujet des achats du lendemain aux Grandes Halles. Et le trouva abîmé dans la lettre. Il lisait celle-ci une seconde fois et elle fut frappée par son visage défait.
â Ce sont de mauvaises nouvelles ?
â Mon oncle Hercule est mort, Armande.
Elle se signa.
â Mon ami, je comprends ta peine. Allons-nous aux obsèques ?
â Non. à cause des chaleurs, il a déjà été enseveli. Mais je vais quand même partir pour Tilly, demain.
â Je t'accompagne.
â C'est impossible. Mon oncle m'a révélé certaines choses dans cette lettre, et je dois m'en occuper seul. Mais je serai vite de retour.
â Des choses graves ? Pourquoi ne demandes-tu pas à Fronsac de partir avec toi ?
â Je ne peux pas. J'ai hâte de savoir. Il faut que je parte vite, et je ne tiens pas à mêler Louis aux affaires de ma famille. Il a suffisamment de travail pour remettre sa seigneurie en état.
â Tu prends le carrosse et François ?
â J'irai à cheval, seul.
Gaston resta sombre la soirée durant et comme Armande s'inquiétait, il lui dit quelques mots sur le contenu de la lettre. Le lendemain, elle le vit se préparer et s'armer
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