La malediction de la galigai
appréciait le confort, en découvrit aussi les inconvénients. Quand, à cheval, il mettait un quart d'heure pour aller du Palais à la rue de la Verrerie, le trajet prit plus d'une heure à cause des encombrements dus aux magistrats sur le départ. De plus, la chaleur dans la voiture se révélait infernale.
Armande l'attendait. Il lui raconta la séance au Palais et lui confia l'inquiétude des échevins et du prévôt des marchands. Le roi reviendrait-il avant la fin de l'été ? Tout le monde en doutait. L'évasion de l'imprimeur Morlot avait montré la capacité des amis de Beaufort et de Gondi à manipuler la populace, nul ne doutant que leur main se trouvait derrière l'émeute.
C'est à la fin du souper qu'Armande lui remit la lettre.
â Un des commissionnaires du Bureau général de la poste l'a apportée cet après-midi. Je lui ai remis les trois sols de port.
Le Bureau général de la poste tenu par M. Rollin Burin, maître des courriers de Normandie et fermier général du Bureau des dépêches, était situé rue Saint-Jacques, à la maison du Chapeau Rouge.
Gaston regarda un moment le pli très épais qui portait le cachet du notaire des Tilly. Sans savoir pourquoi, il sentit son cÅur battre plus vite. Ce ne pouvait être que de mauvaises nouvelles.
Il ouvrit le paquet et se dirigea vers la bibliothèque pour le lire. La lettre contenait une seconde missive. Le notaire lui annonçait la mort de son oncle Hercule, quatre jours plus tôt. Gaston savait celui-ci malade et cette mort ne le surprit pas. L'enterrement avait eu lieu dans le caveau de l'église du village. à cause de la chaleur, on n'avait pu attendre, expliquait le notaire qui lui demandait de venir quand il le pourrait afin de régler la succession dont il était l'unique héritier. Gaston n'aurait que la vieille demeure familiale, dont il possédait déjà la moitié. Son oncle vivant chichement, il ne lui laissait rien, sinon le second pli qui se trouvait dans le paquet.
Gaston avait perdu ses parents alors qu'il n'avait que quatre ans. Son père était lieutenant dans la compagnie du prévôt général des maréchaux de Rouen, sa mère la fille d'un conseiller au présidial de Chartres, orpheline depuis que sa famille avait été décimée par une épidémie de petite vérole. Si les Tilly descendaient d'un compagnon de Guillaume le Conquérant, ils avaient toujours été pauvres, aussi Gaston n'attendait-il rien. En revanche, cette lettre l'étonnait. Hercule ne lui avait jamais écrit et le notaire précisait que le courrier avait été remis un an plus tôt.
Une vague de souvenirs enfouis submergea son esprit. En avril 1617, la voiture de ses parents s'était retournée, alors qu'ils se rendaient à Paris. Avec leur valet de chambre et leur cocher, ils avaient été retrouvés le corps brisé. Devenu son tuteur, son grand-oncle, prieur de l'abbaye de Coulombs, avait demandé à sa nourrice de rester dans la maison familiale pour l'élever. Plus tard, Hercule, le frère de son père, était revenu à Tilly après avoir perdu un bras sur un champ de bataille. Son oncle n'avait guère témoigné d'intérêt envers lui, se contentant de lui transmettre ce qu'un Tilly devait savoir : comment se battre. Puis Gaston avait été mis en pension au collège de Clermont pour devenir prêtre, n'échappant à l'état ecclésiastique que grâce au père de Louis Fronsac et à ses amis échevins lui ayant permis de devenir commissaire-enquêteur auprès d'un commissaire de quartier.
Gaston avait rarement revu son frère, plus âgé que lui et mort depuis quelques années. Quant à l'oncle Hercule, la dernière fois c'était lors de son mariage avec Armande. Il n'éprouvait du reste aucune affection pour lui, jugeant qu'il l'avait abandonné en l'envoyant à Clermont ; aussi sa mort lui était-elle indifférente.
Néanmoins, c'était le dernier fil qui le rattachait à ses parents. Et ce fil venait de se rompre.
Les larmes vinrent à ses yeux en ouvrant la lettre.
*
Son oncle racontait la vie qu'il avait menée, sa jeunesse, ses campagnes, comment il avait choisi le parti de la Ligue, se fâchant ainsi avec son jeune frère, fidèle de Rosny.
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