La malediction de la galigai
d'un autre imprimeur, Claude Morlot, vieil homme qui travaillait avec ses enfants. On avait trouvé chez lui plusieurs libelles dont un texte particulièrement outrageant sur les amours de la reine et du cardinal qui s'intitulait : La Custode 1 du lit de la reinequi dit tout et commençait ainsi :
« Jules, que j'aime plus que le roi ni l'Ãtat,
Je te veux témoigner ma passion extrême ;
En perdant le royaume en me perdant moi-même,
Afin que tu profites en ce noble attentat. »
Mais très vite les vers devenaient plus crus :
« Peuple n'en doutez pas, il est vrai qu'il la fout,
Et c'est par ce trou que Jules nous canarde. »
*
Le lundi de la semaine suivante, Gaston apprit que le procès des imprimeurs aurait lieu le lendemain. Morlot serait jugé pour crime contre l'Ãtat par les trois chambres réunies : la Grand' Chambre, celle de l'Ãdit, et la Tournelle.
Le mardi 20 juillet après dîner 2 , Gaston travaillait à ses dossiers dans son cabinet du Grand-Châtelet quand François Desgrais lui annonça que le procès se terminait. L'exempt se trouvait au Palais lorsque le procureur général lui avait demandé de prévenir Tilly afin qu'il se rende à l'Hôtel de Ville. Morlot se verrait condamné à la pendaison après avoir fait amende honorable devant Notre-Dame. Son fils assisterait au supplice puis serait fustigé au pied de la potence comme criminel de lèse-majesté. L'exécution était prévue à sept heures du soir. Le chancelier exigeait la présence des gens du roi 3 afin que le peuple comprenne qu'il en était fini de traîner la reine dans la fange.
Gaston désapprouvait une sentence si sévère, qui risquait d'entraîner des émeutes. à ses yeux, quelques années de galère auraient été suffisantes. Après en avoir parlé avec Desgrais, ils s'apprêtaient à partir pour l'Hôtel de Ville lorsque La Goutte arriva, essoufflé.
â Monsieur le procureur, on se bat au Palais !
En quelques mots hachés, le sergent raconta qu'il revenait du pont au Change où on l'avait appelé avec une troupe d'archers afin de protéger le lieutenant criminel, pris à partie par des gens de rien.
â Explique-toi ! lança Desgrais, inquiet. J'étais au Palais il y a moins de deux heures et, à part une petite foule de garçons libraires et de boutiquiers qui grondaient, je n'ai pas vu d'émeute !
â Je n'en sais pas plus, monsieur ! Voilà simplement ce qu'un archer revenant du Palais m'a raconté : à quatre heures, un greffier a lu le jugement dans la cour. Aussitôt les gens qui attendaient se sont mis à murmurer. Pour les calmer, des conseillers ont fait savoir que les présidents de chambre avaient demandé au premier président de prier monsieur le chancelier de gracier le coupable. La foule a attendu près d'une heure jusqu'au moment où quelqu'un a crié qu'on dressait une potence en place de Grève. En même temps, on a vu arriver le cousin de maître Guillaume 4 qui venait chercher l'imprimeur, enfermé dans la Conciergerie. Au moment où on le sortait pour le conduire au supplice, Morlot s'est mis à hurler qu'on allait le faire mourir injustement, car il n'avait imprimé que contre Mazarin.
» Les garçons libraires et les imprimeurs présents auraient commencé à jeter des pierres sur les archers sortant du Palais avec la charrette. Puis, secondés par les boutiquiers du quartier, ils les ont chargés en criant : Sus aux Mazarins ! Sous les pierres, les archers se sont repliés vers le pont au Change. La charrette du bourreau a été jetée dans la rivière et le lieutenant criminel a dû s'enfuir. Je suis arrivé à temps pour le protéger. Quant à l'imprimeur et son fils, ils ont disparu.
â Allons voir ! décida Gaston en prenant son épée.
â C'est impossible, monsieur ! Le pont est barré par une formidable populace de crocheteurs. Il faudrait un régiment de Suisses pour forcer le passage.
â Allons donc à l'Hôtel de Ville ! réfléchit Gaston. Les gens du roi ont dû arriver pour l'exécution et nous en saurons plus.
Desgrais rassembla le peu d'archers en hoquetons qui restaient dans le Châtelet et ils partirent à cheval. Ã
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