La malediction de la galigai
continuait à vociférer :
â Monsieur ! Monsieur ! Aux armes !
Un tel fracas ne pouvait que réveiller Thibault. Aussi, quand le premier gredin déboucha dans sa chambre, une lanterne sourde dans une main et une épée dans l'autre, découvrit-il Richebourg en chemise, flamberge au poing, l'attendant devant son lit. Thomas se trouvait près de lui, sa hache solidement tenue à deux mains.
â Par les pantoufles de Belzébuth ! Chez qui vous croyez-vous, messieurs les estafiers ? cria Thibault, se précipitant vers son agresseur.
L'autre para le coup d'estoc et un furieux combat s'engagea. Mais déjà , un second spadassin avait rejoint le premier.
Durant un instant, ce fut un mortel ballet. Dans l'obscurité de la chambre, on ne voyait que les lames brillantes s'entrechoquer avec fracas en créant de grandes étincelles. Les bravi étaient moins forts que Richebourg, mais ils étaient deux, et la place manquait pour conduire de savantes attaques. Néanmoins, après quelques échanges, Thibault ne douta point de la victoire. Il préparait une mortelle botte quand, du coin de l'Åil, il vit qu'un troisième truand était entré, lui aussi porteur d'une lanterne. Lequel n'avait pas dégainé et paraissait indécis, n'ayant certainement pas envisagé une telle résistance.
à trois, le combat deviendrait trop inégal ; aussi, dès qu'il perçut une ouverture dans la garde d'un de ses adversaires, Richebourg écarta-t-il le second d'une feinte avant de percer le bras du premier dont l'épée tomba au sol. Brandissant sa hache, Thomas en profita pour se jeter sur le pendard qui venait d'arriver.
Seulement, dans la semi-obscurité de la pièce, le domestique n'avait pas vu que ce dernier tenait aussi un pistolet. Afin d'éviter le coup de hache, il tira, atteignant le vieux domestique à la tête.
La détonation provoqua une brève interruption dans la bataille. Le tireur lança alors :
â Rendez-vous, Richebourg ! Ce pistolet a deux canons et le second coup est pour vous !
Cette voix ! Thibault la reconnut ! Il fit un pas en arrière et remarqua pour la première fois que ses agresseurs étaient masqués. Un répit suffisant pour que le second de ses adversaires, celui qui n'avait pas été blessé, tire un pistolet de sa ceinture afin de le menacer à son tour.
â Que voulez-vous, assassins ? cria Richebourg, désespéré en voyant le visage de Thomas ensanglanté.
â Jette ton épée, si tu veux sauver ta vie !
Thibault se trouvait en pleine confusion. Poursuivre le combat, c'était la mort assurée, mais se rendre, le déshonneur.
Il songea pourtant qu'il devait vivre. Pour venger Thomas, et pour sauver Anaïs, surtout si la canaille à la lanterne était bien celui qu'il avait deviné !
â Que Belzébuth vous crève ! Vous payerez cela au centuple ! promit-il, étouffant un sanglot.
Jetant par terre son épée rouge de sang, il ajouta :
â Laissez-moi voir si mon domestique est encore en vie.
Sans attendre de réponse, il s'approcha de Thomas et s'agenouilla. Pour constater avec désespoir que la balle avait pénétré la tête de son fidèle valet.
L'un des assassins lui donna alors un violent coup avec la garde de son épée. Il perdit conscience.
*
Le lendemain de cette effroyable nuit, Anaïs Moulin Lecomte se rendit à l'église à tierce, accompagnée par sa suivante. Ce n'était qu'un prétexte, car elle espérait rencontrer Thibault en chemin. Elle ne le vit point et rentra déçue et contrariée. Il est vrai qu'il y avait deux bonnes heures de cheval depuis chez lui. Il arrivera plus tard, se dit-elle. Il l'avait juré.
En début d'après-midi, malgré une chaleur étouffante, elle décida d'une promenade. Son parrain la rejoignit pour s'étonner qu'elle sorte à cette heure de soleil si fort.
Quand elle revint vers quatre heures, sa dame de compagnie, épuisée par la chaleur, sur ses pas, Thibault ne s'était toujours pas manifesté. Maintenant, l'inquiétude la taraudait. Elle songea un instant à aller à l'auberge du Saut du Coq . Peut-être s'y trouvait-il, mais qu'aurait-elle fait là -bas ? Et si elle le voyait, allait-elle lui reprocher de ne pas être venu
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