La Marquis de Loc-Ronan
patience de mon ami, et, tout gentilhomme que vous êtes, vous pourriez bien être accroché à une branche de chêne.
– Messieurs ! messieurs ! s’écria le marquis blême de colère, il faut que l’un de vous me rende raison de tant d’insolence !
– Assez ! fit Boishardy.
Il appela Fleur-de-Chêne en entr’ouvrant la porte. Le paysan accourut.
– Tu vas prendre dix hommes avec toi et escorter monsieur, continua-t-il en désignant le marquis. Tu le mèneras à La Roche-Bernard, et là monsieur s’embarquera pour aller où bon lui semblera.
Le marquis se leva brusquement et sortit sans dire un mot.
– Tonnerre ! s’écria Marcof, on ose nous envoyer de pareils hommes avec des brevets dans leur poche.
– Les émigrés sont fous, dit Chantereau.
– Pis que cela, répondit Boishardy, ils sont ridicules ! Mais oublions cette scène et reprenons notre conversation au moment où cet imbécile empanaché est venu nous interrompre. Vous, Cormatin, quelles nouvelles de la Vendée ?
– Mauvaises, répondit le chouan en s’avançant. Depuis la bataille de Cholet, Charette s’est tenu isolé dans l’île de Noirmoutier, dont il a fait son quartier général. Il y a quelques jours seulement, il apparut dans la haute Vendée pour y recruter des hommes. Un conseil tenu aux Herbiers l’a confirmé dans son commandement en chef.
– Mais, dit Boishardy, n’a-t-il pas vu La Rochejacquelein ? Celui-ci est passé ici se rendant en Vendée cependant ; et, depuis, je n’en ai pas eu de nouvelles.
– Si ; ils se sont vus à Maulevrier.
– L’entrevue a été mauvaise. Ils ne s’aiment pas.
– Oh ! s’écria Marcof ; toujours la même chose donc ; ici comme parmi les bleus ! Quoi ! Charette et La Rochejacquelein ne réunissent pas leurs forces ? Ils font passer l’intérêt personnel avant le salut de la royauté, les causes particulières avant la cause commune ? De stupides rancunes, de sots orgueils l’emportent sur le bien de la patrie ?
– La Rochejacquelein a repassé la Loire, continua Cormatin.
– Et, ajouta Chantereau, il marche sur le Mans.
– Où il trouvera Marceau, Kléber et Canuel avec des forces triples des siennes ! dit Marcof. Enfin, espérons en Dieu, messieurs.
– Et attendons ici les résultats de cette marche nouvelle, ajouta Boishardy. La Rochejacquelein m’a ordonné de garder à tout prix ce placis, qui renferme d’abondantes munitions et offre une retraite sûre en cas de revers. Vous, Cormatin, et vous Chantereau, regagnez vos campements et tenez-vous, prêts à agir et à vous replier sur moi au premier signal. Adieu, messieurs ! fidèles toujours et quand même, c’est notre devise. Que personne ne l’oublie !
Les deux chefs prirent congé et s’éloignèrent. Marcof et Boishardy demeurèrent seuls. Il y eut entre eux un court instant de silence. Puis, Boishardy s’approchant vivement du marin :
– Vous avez donc été à Nantes ? dit-il.
– Oui, répondit Marcof.
– Si vous aviez été reconnu ?
– Eh ! il fallait bien que j’y allasse, aurais-je dû affronter des dangers mille fois plus terribles et plus effrayants.
– Vous vouliez tenter de revoir Philippe, n’est-ce pas ?
– Oui.
– Avez-vous réussi ?
– Malheureusement non.
– Ainsi, il est toujours dans les prisons ?
– Toujours.
– Et cet infâme Carrier continue à mettre en pratique son système d’extermination ?
– Plus que jamais.
– Philippe est perdu, alors ?
– Perdu, si je ne parviens à le sauver avant huit jours.
– Le sauver ! Est-ce possible ?
– Je n’en sais rien.
– Mais vous le tenterez ?
– Je partirai pour Nantes demain même.
– C’est une folie ! C’est tenter le ciel par trop d’imprudence.
– Folie ou non, je le ferai. Je sauverai le marquis de Loc-Ronan, ou nous mourrons ensemble.
– Quels sont vos projets ?
– Tuer Carrier, répondit Marcof sans la moindre hésitation.
– Mais vous ne parviendrez jamais jusqu’à lui !
– Peut-être.
Boishardy se promena avec agitation dans la chambre, puis revenant se poser en face de Marcof :
– Vous partez demain ? dit-il.
– Oui.
– Vous pensez qu’avant huit jours d’ici vous aurez sauvé Philippe ?
– Ou que nous serons morts tous deux.
– Bien !
– Vous m’approuvez, n’est-ce pas ?
– Je fais mieux.
– Comment cela ? dit Marcof étonné.
– Je vous aide.
– Je
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