La Marquis de Loc-Ronan
alla rejoindre Cathelineau sous les murs de Nantes. Son nom, son titre d’ancien officier, sa force prodigieuse, sa hardiesse et son intrépidité, lui valurent promptement un commandement supérieur dans l’armée vendéenne.
Après la mort de Cathelineau, lorsque les royalistes furent rejetés de l’autre côté de la Loire, Boishardy fut chargé de la périlleuse mission de garder et d’observer tout le haut pays, de Saint-Nazaire à Redon. La Rochejacquelein, comptant sur lui plus peut-être que sur aucun autre chef, lui confia ses munitions, ses réserves d’artillerie et ses papiers les plus importants, puis il lui ordonna de s’établir à Saint-Gildas, au milieu de la forêt, et de garder ses précieux dépôts jusqu’à ce que la guerre prît une nouvelle face. Les royalistes, tout en marchant à l’est, espéraient toujours repasser bientôt en Vendée et reconquérir le territoire envahi par les bleus. L’espèce de relais formé par Boishardy leur devenait donc de la plus grande utilité. Aussi, en dépit de son ardeur et de sa soif des combats, le brave gentilhomme était-il forcé depuis quelque temps à demeurer dans une inaction presque complète, opposée à sa fiévreuse nature. Le projet de Marcof d’aller à Nantes délivrer le marquis de Loc-Ronan lui souriait donc d’autant mieux qu’il le mettait à même de payer de sa personne et de se rapprocher des ennemis de sa cause.
À peine venait-il de prendre cette résolution, que Fleur-de-Chêne entra dans la pièce. Il attendait respectueusement que son chef l’interrogeât. Boishardy lui fit signe d’approcher.
– Ne m’as-tu pas dit que quelqu’un désirait me parler ? demanda-t-il.
– Oui, commandant.
– Qui cela ?
– Celui de nos gars que vous aviez envoyé en mission il y a près de quinze jours.
– Il est revenu ?
– Il arrive à l’instant.
– Bien !
– Faut-il le faire entrer ?
– Oui, répondit Boishardy, et se retournant vers Marcof : nous allons avoir des nouvelles de la Cornouaille, dit-il.
– Et de La Bourdonnaie ? ajouta Marcof.
– Oui.
– Qui donc avez-vous envoyé là ?
– Un homme sûr.
– Qui se nomme ?
– Keinec.
– Tonnerre !… qu’il entre vite !
Fleur-de-Chêne sortit et Keinec pénétra près des deux chefs. En voyant Marcof, le jeune homme ne put retenir un mouvement de joie ; le marin lui tendit les mains par un geste tout amical, et comme Keinec les saisit pour les lui baiser, Marcof l’arrêta vivement en le pressant sur sa poitrine. Boishardy les regardait avec étonnement.
– Vous connaissez donc Keinec ? demanda-t-il à Marcof.
– Oui, répondit le marin ; son père m’a arraché à la mort et a été tué en me sauvant ; lui-même m’a rendu de grands services ; enfin c’est un enfant auquel j’ai appris à combattre et que je regarde comme mon matelot.
– Tant mieux ! car Keinec est un brave cœur et un gars solide. J’ai été, moi aussi, à même de l’apprécier.
En entendant ce double éloge, Keinec rougit de plaisir. Boishardy s’assit, et, s’adressant au jeune homme :
– Tu as accompli ta mission ? dit-il.
– Oui, commandant.
– Tu as vu La Bourdonnaie ?
– Je l’ai vu.
– Quelles nouvelles de la Cornouaille ?
– Les bleus ravagent toujours le pays ; la guillotine est en permanence à Brest comme ailleurs ; ils tuent, ils tuent tant que le jour dure.
– Après ?
– Ceux d’Audierne, de Rosporden et de Quimper ont traqué les gars dans les forêts.
– Ils les ont pris ?
– Quelques-uns ont été arrêtés et massacrés.
– Et Yvon ? fit Marcof vivement.
– Il est mort !
– Tué ?
– Martyrisé par les républicains !
– Tonnerre ! s’écria le marin en prenant sa tête dans ses mains par un magnifique mouvement de colère.
– Fouesnan, Penmarckh, Plogastel, Plomélin, Tréogat, Plohars, ont été réduits en cendres ; les habitants se sont sauvés dans les forêts.
– Et que fait le comte de La Bourdonnaie ? demanda Boishardy.
– Il ravage aussi les campagnes et détruit tout ce qui appartient aux amis des bleus ; il brûle tout et coupe les communications dans l’intérieur ; les convois des républicains sont tous arrêtés par nos gars et ne peuvent plus arriver à Brest. Avant un mois, la ville sera prise par la famine.
– C’est tout ?
– Non.
– Qu’y a-t-il encore ?
– Un papier que je dois vous
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