La Marquis de Loc-Ronan
la prière du marin, était redescendue dans l’entrepont.
– Ma foi, mon cher ! s’écria gaiement le chef royaliste, je ne m’attendais pas à voir ce que je vois.
– Comment cela ? répondit Marcof en souriant.
– Mais votre lougre est gréé, aménagé et armé à faire rougir un vaisseau du roi. Quel ordre ! quel soin ! quel aspect guerrier !
– Vous trouvez ?
– D’honneur ! je suis dans l’admiration.
– Vous venez de voir mon navire et mon équipage en temps de paix, fit le marin en prenant un accent plus sérieux ; que diriez-vous donc si vous pouviez le contempler en temps de guerre, quand le Jean-Louis s’accroche à une frégate ennemie et que mes matelots s’élancent la hache au poing et le poignard aux dents !
– Cordieu ! ce doit être un beau spectacle, et l’eau m’en vient à la bouche, rien qu’en y pensant.
– Tonnerre ! pourquoi sommes-nous obligés de faire la guerre civile ?
– Parce que des brigands nous y contraignent.
– Vous avez raison et vous me rappelez que ce n’est pas pour philosopher que nous avons quitté le placis, il y a trois heures, et fait douze lieues au galop. Mais quand je pose le pied sur ce lougre, c’est plus fort que moi ; je sens quelque chose comme une larme qui me mouille les yeux, et un désir effréné de combattre sans retourner à terre.
– Malheureusement cela ne se peut, mon cher, car c’est à terre seulement que nous pourrons sauver Philippe.
– Oui, et il faut même nous hâter ! Voulez-vous descendre visiter madame la marquise de Loc-Ronan ?
– Sans doute ; c’était elle qui vous parlait tout à l’heure, n’est-ce pas ?
– Oui.
– Eh bien, faites-moi l’honneur de me présenter, je vous suis.
Marcof se dirigea vers l’escalier conduisant dans l’intérieur du navire et descendit, accompagné de M. de Boishardy. Julie les attendait dans son appartement. Ce mot appartement pourrait sembler étrange à tous ceux qui connaissent l’intérieur d’un petit navire de guerre, et cependant les cabines réunies qu’habitait la religieuse méritaient parfaitement ce titre à tous les points de vue et à tous les égards.
Lorsque Marcof avait conduit Julie à son bord, il avait donné des ordres antérieurs et tout fait disposer en conséquence. Il voulait que la religieuse, accoutumée au bien-être du couvent, que la fille noble élevée dans le luxe et dans l’abondance, que la marquise de Loc-Ronan, enfin, la femme de son frère, ne souffrît pas d’un séjour prolongé dans un humble navire aménagé pour des hommes aux habitudes grossières. Il voulait enfin que Julie fût traitée en reine et honorée comme telle.
Quelques jours d’un travail assidu et intelligemment dirigé avaient suffi pour exécuter les ordres du chef suprême. À bord d’un navire de guerre, les ouvriers en tous genres sont nombreux : il s’y trouve naturellement des charpentiers, des menuisiers, des forgerons, et il est rare que tous les autres corps d’états manuels n’y aient pas chacun leur représentant. D’ailleurs, le calfat est à moitié maçon, le voilier à demi-tapissier, le maître chargé des pavillons presque un artiste en ornements. Tout se rencontre sous la main dans ces coques admirables : bois, fers, tentures, richesses de toutes sortes sont là à profusion. Puis le marin a, en général, un goût prononcé pour l’art de l’ameublement. Ingénieux dans les moindres détails, comme l’homme qui se trouve constamment aux prises avec la nécessité, aucun obstacle ne l’arrête ; et si la difficulté est trop forte, il la tourne avec adresse. Cela s’explique facilement : enfermé les trois quarts de sa vie entre les parois de sa prison flottante, il cherche à en dorer les barreaux, et, le temps ne lui faisant jamais faute, il arrive toujours à son but. Ensuite, les voyages, les séjours en pays étrangers, qui lui font emprunter un usage à l’un, un usage à l’autre, développent son sentiment artistique sans qu’il s’en rende compte lui-même.
À bord du Jean-Louis , navire corsaire, dont le chef n’avait à obéir qu’à sa propre volonté, le travail qui concernait l’appartement destiné à Julie était plus facile encore à exécuter. Quelques cloisons abattues avaient formé un vaste salon éclairé par les fenêtres percées à l’arrière du lougre. Des caisses d’étoffes orientales, rapportées des précédentes excursions, avaient fourni
Weitere Kostenlose Bücher