La Marquis de Loc-Ronan
costume de l’ordre religieux que, plusieurs années auparavant, portaient seules les nonnes de l’abbaye de Plogastel. Cette femme, à la démarche digne, au geste élégant, à la beauté angélique, aux regards rêveurs, aux yeux rougis par les larmes, aux traits fatigués par la souffrance, courbait la tête sous le voile qui lui descendait sur les épaules, et les mains entrelacées sur sa poitrine, égrenant un chapelet de ses doigts effilés, elle offrait la vivante image de l’ange de la prière, tant elle paraissait absorbée dans ses pieuses pensées. Un léger bruit, qui retentit près d’elle, vint rappeler la religieuse aux choses de ce monde. Ce bruit était causé par un petit mousse. Le pauvre enfant, accroupi au pied du mât d’artimon auquel était adossée la sainte femme, s’était laissé engourdir par le sommeil, et un vieux matelot, passant près de lui, l’avait réveillé brusquement à l’aide d’un coup de poing paternellement administré. Le mousse se dressa sur ses jambes, secoua sa tête intelligente, se frotta les yeux, et courut en avant se mêler aux hommes de quart. La religieuse se leva alors, et, laissant retomber le lourd chapelet attaché à sa ceinture, elle tourna les regards vers le ciel noir en poussant un profond soupir.
– Rien encore, murmura-t-elle. Aucune nouvelle de terre. Marcof aurait-il échoué dans son entreprise ? Serait-il blessé ? Serait-il mort ? Hélas ! que deviendrait Philippe ? que deviendrions-nous tous ?
Tout à coup un brusque mouvement s’opéra à l’avant du Jean-Louis ; un matelot, montant sur les bastingages, sauta sur la poulaine, et se retenant d’une main aux cordages du beaupré, s’avança doucement, fixant avec persistance ses regards sur la mer que lui dérobait en partie la brume. Un grand silence se fit dans la bordée de quart qui suivait attentivement les mouvements du marin. Un bruit sourd et régulier, semblable à celui d’avirons frappant avec précaution les vagues, retentit à peu de distance. Le matelot, toujours suspendu au-dessus de l’abîme, tourna la tête vers ses compagnons.
– Une embarcation ! dit-il à voix basse.
– La vois-tu ? demanda le contremaître.
– Non, pas encore, la brume est trop forte ; mais j’entends le bruit des rames.
– Dans quelle aire ?
– À bâbord… Ah ! j’aperçois un point noir se détachant dans l’obscurité.
– Chacun à son poste, alors ! commanda le contremaître sans élever la voix. Si ce sont des bleus, nous les recevrons au bout de nos piques. Les servants à leurs pièces ! Parez tout et vivement !
Puis s’adressant au mousse qui dormait quelques minutes auparavant auprès de la religieuse :
– Va prévenir le patron ! dit-il.
L’enfant se détacha aussitôt du groupe des matelots, et, tandis que ceux-ci gagnaient silencieusement leur poste de combat, il courut à l’arrière. Le bruit des avirons devenait plus distinct, et un canot s’avançait certainement dans les eaux du lougre.
Le mousse avait interrompu bravement la promenade du marin, devant lequel il se planta en tenant respectueusement à la main son chapeau goudronné.
– Maître ! fit l’enfant levant ses yeux bleus sur le vieux marin, on signale une embarcation à bâbord.
– Venant de terre ?
– Oui, maître ! On le suppose, du moins.
– Qu’on ne la laisse pas accoster !
Le mousse porta rapidement l’ordre. Le maître s’approcha alors des bastingages du navire, et, concentrant ses regards vers la terre, il s’efforça à son tour de percer la brume. La religieuse s’était placée près de lui.
– Bervic, dit-elle d’une voix douce et harmonieuse, en posant sa main délicate sur le bras du second du Jean-Louis .
– Madame ? répondit le marin en se retournant et s’efforçant de rendre doux et agréable le rude accent de son organe.
– Que vient-on de vous dire, mon ami ?
– Rien d’important, madame.
– Mais encore ?
– On me signale une embarcation venant de terre.
– Oh ! ce sont sans doute des nouvelles de Marcof.
– Je ne crois pas.
– Pourquoi ?
– Parce que le commandant aurait donné le signal convenu si c’était lui, et une embarcation du bord serait allée le prendre.
– Qui croyez-vous que ce soit, alors ?
– Je l’ignore. Peut-être des ennemis, des bleus damnés.
– Ils ne sont pas à la Roche-Bernard cependant, vous le savez bien.
– Je sais qu’ils n’y
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