La Marquis de Loc-Ronan
t’ira !
Yvonne, en reconnaissant la voix de son bourreau, s’était mise à trembler. Se reculant peu à peu, elle avait été se blottir dans un des angles de la pièce. Pinard l’appelait en vain ; elle ne bougeait pas.
– Attends, murmura le sans-culotte en tirant un briquet de sa poche ; je vais bien te faire venir. Quand l’Italien te verra avec moi, il s’en pâmera de rage, que ça fera plaisir à voir !
L’étincelle jaillit de la pierre et enflamma l’amadou. Pinard chercha sur la table et trouva des allumettes. Puis il s’approcha d’une chandelle à demi consumée qui était plantée dans un chandelier sale et gras.
Pendant ce temps, Yvonne murmurait à voix basse :
– Ce n’est pas Jahoua, ce n’est pas Jahoua !
La pièce s’éclaira peu à peu. Pinard aperçut la jeune fille et se dirigea vers elle. Il tenait sa lumière à la main, et les rayons, frappant en plein sur son visage, l’éclairaient merveilleusement et en faisaient ressortir la laideur repoussante.
Yvonne leva les yeux sur lui. Une inspiration soudaine illumina son front. Sa physionomie changea brusquement d’expression et dépouilla tout ce qu’elle avait d’insensé.
– Ian Carfor ! s’écria-t-elle.
Le sans-culotte la saisit par le bras.
– Ah ! tu me reconnais encore ! dit-il avec rage. Voilà la seconde fois que cela t’arrive ! La raison te revient : il faut en finir.
Et, repoussant la jeune fille, il l’envoya violemment rouler à quelques pas. Yvonne tomba sans pousser un cri. Pinard frappa du poing sur la table avec colère.
– Fougueray dira ce qu’il voudra, murmura-t-il ; mais il est temps de prendre des précautions. Au diable mes idées de ce soir ! Demain elle ira à l’entrepôt, et le soir aux déportations verticales, comme dit Carrier. Je savais bien que la raison lui revenait peu à peu, moi, et ce serait par trop dangereux de la laisser vivre !
XII – JULIE DE CHÂTEAU-GIRON
Située sur la route de Nantes à Vannes, formant le point central du petit golfe où la Vilaine vient se perdre dans l’Océan, et à l’extrémité sud duquel se trouve Pénestin, la petite ville de la Roche-Bernard élève orgueilleusement, sur la limite du département du Morbihan et de celui de la Loire-Inférieure, ses maisons gothiques dont les toits aigus se mirent pittoresquement dans les eaux limpides de la rivière qui coule à leurs pieds. La Roche-Bernard, dont la première partie du nom vient d’un gros rocher qui s’élève du lit même de la Vilaine, et la seconde du plus ancien seigneur du lieu que l’on connaisse, la Roche-Bernard est un de ces nombreux ports naturels aux entrées difficiles comme il en abonde sur les côtes de Bretagne.
Célèbre entre toutes les villes de la province pour avoir été la première qui reçut la réforme protestante apportée et propagée dans son sein par d’Andelot, frère de l’amiral de Coligny, la Roche-Bernard n’avait pas hésité à arborer le drapeau royaliste, et était devenue, en 1793, l’un des principaux foyers de l’insurrection de l’Ouest. Son petit port, abrité des vents du nord et de ceux du nord-est, offrait un asile sûr aux nombreuses barques de pêche qui sillonnaient les côtes, portant de Bretagne en Vendée et de Vendée aux îles voisines des nouvelles, des vivres, des munitions, et souvent des soldats blancs .
Il était six heures du matin. Une brume épaisse, qui enveloppait les côtes de son manteau humide, augmentait encore la profondeur des ténèbres. Les vagues de la marée montante, refoulant les eaux de la rivière, venaient mourir en clapotant sur la carène d’un petit navire.
Sur le pont de ce navire, du grand mât au beaupré, étaient disséminés les marins de quart : les uns assis sur les canons, les autres appuyés sur les bordages, tous faisant bonne veille avec cette conscience du présent et cette insouciance de l’avenir qui distinguent l’homme de mer.
Deux personnages occupaient seuls l’arrière. L’un portant les insignes de maître d’équipage, les galons d’or aux manches et le sifflet suspendu à la boutonnière de la veste, se promenait lentement de bâbord à tribord avec cette impassibilité du marin qui sait se contenter du plus étroit espace pour accomplir des promenades interminables.
Le lavage du navire venait d’être terminé sous l’œil vigilant du chef, et chacun était à son poste. Près du banc de quart se tenait assise une femme revêtue du
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