La Marquis de Loc-Ronan
d’usage.
Julie prodigua à Boishardy tout ce que sa tendresse pour Philippe lui inspirait d’expressions touchantes pour témoigner au noble aventurier ce qu’elle ressentait au fond de son cœur.
– Sauvez-le, dit-elle, et vous m’aurez sauvée moi-même ; car si Philippe meurt, je mourrai !
En parlant ainsi, sa voix était si douce, si calme, et indiquait tant de foi dans ce pronostic lugubre, que Marcof et Boishardy se sentirent profondément touchés. Le marin, dominant son émotion, fit un mouvement pour quitter le salon ; il avait, dit-il, à donner quelques ordres relatifs au départ.
– Est-ce que vous quittez le lougre ce matin ? demanda Julie.
– Non, répondit Marcof ; nous passons la journée à bord ; mais comme le vent est bon et la marée favorable, je vais faire lever l’ancre, et nous mettrons le cap sur le Croisic, qui vient d’être repris par nos amis. Là, nous serons à peu de distance de Nantes, et si nous parvenons à enlever le marquis, le navire sera un refuge dont je réponds, car j’en défends l’entrée !
– Faites et ordonnez, Marcof, dit Boishardy ; je me fie à vous.
Le marin le remercia du geste et disparut. Boishardy et la marquise demeurèrent seuls. Le gentilhomme jetait malgré lui ses regards sur le vêtement de la religieuse ; Julie s’en aperçut.
– Vous regardez mon habit monastique, dit-elle, et vous vous étonnez que je sois restée fidèle à mes vœux dans ces temps où chacun n’a plus le respect de ses serments ?
– Non, madame, répondit Boishardy, je ne m’étonne pas, mais j’admire.
– Puis, après un léger silence, il reprit :
– Si nous délivrons Philippe, ne consentirez-vous pas à reparaître dans le monde ?
– Peut-être ! fit la religieuse en détournant la tête.
Boishardy n’insista pas ; il avait lu les manuscrits que lui avait confiés Marcof ; il connaissait l’histoire entière des douleurs de la pauvre femme, et sa délicatesse l’empêchait d’insister sur un semblable sujet.
Il se disposait même à se retirer à son tour, car Julie semblait absorbée dans des réflexions pénibles, lorsqu’un léger tressaillement du navire fit chanceler les objets mobiles qui ornaient la chambre.
– Nous prenons la mer ? dit-il.
– Oui, répondit la religieuse ; et demain soir vous serez à Nantes. Que Dieu vous accompagne ! Moi je vais prier tout le jour ! Malheureusement, hélas ! c’est là toute la part que je puis prendre à cette entreprise.
Boishardy s’inclina profondément, et sortant de l’appartement de la marquise, il monta rapidement sur le pont du lougre.
Jusqu’alors Marcof avait veillé en personne à la manœuvre et à la marche du navire, mais une fois en mer, une fois la route prise, il appela Keinec, lui remit le commandement du lougre et alla retrouver Boishardy qu’il emmena dans sa cabine.
XIII – LA ROUTE DE NANTES
Cinq heures après que le lougre eut quitté la Roche-Bernard, Bervic descendit auprès de son chef le prévenir que l’on était en vue du Croisic, et lui demander ses ordres pour le mouillage.
– Nous ne mouillerons pas, répondit Marcof. Tiens le cap droit devant toi, double la pointe du Croisic et cours une bordée sur Saint-Nazaire.
– Quoi ! dit Boishardy avec étonnement, voulez-vous donc entrer en Loire ?
– Sans doute.
– Mais il était convenu que nous débarquerions au Croisic ?
– Oui ; mais j’ai réfléchi que le Croisic était encore à vingt lieues de Nantes ; que Philippe serait bien faible pour faire à cheval cette longue étape ; qu’il fallait diminuer la distance et nous rapprocher de la ville. J’ai l’intention de remonter le fleuve jusqu’à la hauteur de Lavau.
– Vous n’y pensez pas !
– Pourquoi ?
– Parce que toute la rive gauche de la Loire est au pouvoir des bleus, qui ont même établi garnison à Paimbœuf. Et qui sait si, depuis nos dernières nouvelles, ils ne se sont pas emparés de Savenay, de Saint-Nazaire, de Lavau et des environs ?
– Bah ! qu’importe ! Qui ne risque rien n’a rien, et au bout du compte, nous ne risquons pas grand’chose, car les républicains n’ont pas un navire en état de lutter avec le Jean-Louis , et, s’ils tentaient de l’arrêter au passage, nos canons sauraient bien répondre. D’ailleurs, en quittant le lougre, je donnerai à Bervic des ordres en conséquence.
– Mais, mon cher Marcof, vous oubliez encore que, d’après
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