La Marquise de Pompadour
insensé, monsieur, railla d’Assas en parant le coup : mais je veux être plus généreux que vous, et cette fois encore, je vous ferai quartier, car je me contenterai de vous marquer à la joue…
– Misérable ! rugit le comte, c’est la dernière fois que tu m’auras raillé !
Et il se rua sur son adversaire ; au même instant un homme s’élança entre les deux duellistes, en disant avec autorité :
– Bas les armes !…
– Par la mordieu ! gronda du Barry.
L’inconnu écarta son manteau et son visage apparut. M. Jacques – car c’était lui – ajouta aussitôt :
– Remettez votre épée au fourreau : je vous l’ordonne…
Du Barry fit un geste de rage, ses yeux devinrent sanglants… mais M. Jacques le regarda fixement… le comte obéit.
– Je suis déshonoré ! murmura-t-il en frémissant.
– Non, monsieur, dit d’Assas, pas pour cela, du moins ; et pour preuve, je serai toujours votre homme, quand il vous plaira…
– Merci, monsieur ! balbutia confusément du Barry.
M. Jacques se tourna alors vers le chevalier.
– Mon enfant, dit-il, laissez-moi espérer que vous écouterez ma voix. Le comte du Barry n’est pas votre ami ; vous n’êtes pas le sien : mais vous pouvez et vous devez être alliés…
– Pour quelle œuvre ? quelle besogne ? fit d’Assas avec hauteur.
– Ecoutez-moi un instant, dit paisiblement M. Jacques en se reculant.
D’Assas le suivit.
– Mon enfant, reprit alors M. Jacques, c’est moi qui vous ai tiré de la Bastille ; c’est moi qui vous ai consolé ; c’est moi qui, jusqu’ici, ai préservé M me d’Etioles…
D’Assas frémit.
– C’est moi, continua M. Jacques, qui vous ai fait prévenir qu’on allait l’enlever ; c’est moi qui ai fait suivre le carrosse ; enfin, c’est moi qui aujourd’hui même vous ai envoyé Bernis… Je ne veux pas que le roi abandonne encore la reine Marie ! Pour toutes sortes de raison de morale et de politique, je ne veux pas que M me d’Etioles lui appartienne… Me croyez-vous ?…
– Oui ! gronda le chevalier, au visage de qui monta une bouffée de sang. J’ignore qui vous êtes ; j’ignore les vrais motifs qui vous font agir, mais je vous crois !…
– C’est tout ce qu’il faut. Peu vous importe que je vous dise ou non la vérité sur certains points ; ce qui vous importe, c’est que je veux séparer à tout jamais M me d’Etioles et le roi. C’est mon intérêt. C’est le vôtre. Nous sommes donc alliés ?
– Nous le sommes, fit d’Assas qui haletait.
– Eh bien ! maintenant, écoutez ceci : M. du Barry était ici, par mon ordre, pour surveiller cette maison et au besoin empêcher par la force le roi d’y entrer… Est-il votre allié ?…
Le chevalier se tut.
– Que le comte soit tué, acheva M. Jacques, ou même qu’une blessure le mette au lit pour huit jours, et vous aurez servi les intérêts du roi, mon enfant…
D’Assas fit un geste de rage.
– Sans du Barry, je ne puis rien, vous entendez ?… Battez-vous donc avec lui, si cela vous convient, mais seulement quand il n’y aura plus de danger pour M me d’Etioles…
– Et comment le saurai-je ?…
– Je vous préviendrai, dit M. Jacques avec un sourire. Ainsi, c’est entendu, jusque là, le comte vous est sacré ?…
– Je jure de ne pas le provoquer, dit d’Assas.
– C’est tout ce qu’il faut, mon enfant. Adieu… à bientôt !… A propos, où logez-vous ?…
– Mais… aux
Trois-Dauphins,
vous le savez, monsieur.
– A Paris, oui ; mais à Versailles ?…
– Je n’ai point de logis à Versailles, monsieur.
M. Jacques leva les bras au ciel avec indulgence.
– Voilà bien les amoureux ! dit-il. Imprévoyants jusqu’à la folie. Ils se contentent de soupirer. Eh bien ! je vais vous indiquer un logis, moi, car il faut que vous vous installiez à Versailles…
– Tout mon portemanteau est à Paris, dit d’Assas étourdi.
– Ne vous en inquiétez pas : on vous le renverra.
– Ma bourse est maigre.
– Que cela ne vous arrête pas : vous n’aurez rien à payer dans le logis où je prétends vous envoyer. Allez donc aux Réservoirs. Prenez la ruelle qui débouche juste en face. Arrêtez-vous devant la quatrième maison à gauche, frappez deux coups, et à celui qui viendra vous ouvrir, dites simplement que vous êtes envoyé par M. Jacques.
Là-dessus, M. Jacques fit un geste amical au chevalier,
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