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La mémoire des flammes

La mémoire des flammes

Titel: La mémoire des flammes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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en valeur étaient sales, froissés et abîmés. On avait rayé les phrases, à la plume, avec colère, en déchirant parfois le papier, pour ne laisser subsister qu’un seul verset. Comme si l’on avait voulu signifier que Dieu n’existait pas, qu’il ne fallait pas aimer son prochain et que, dans la Bible, tout était à jeter à la corbeille excepté ces quelques lignes. Margont fut déçu, parce qu’il ne s’agissait pas de l’un des passages auxquels il avait songé. Il lut :
    — Deutéronome, chapitre 19, verset 21 : « Tu ne jetteras aucun regard de pitié : vie pour vie, oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied. »
    — La loi du talion... commenta Palenier. Nous avions bien compris de quoi il retournait...
    Margont porta alors son attention sur le marque-page, sursauta et en lâcha la Bible qui s’écrasa sur le sol.
    — Ne touchez plus à rien ! s’exclama Palenier, qui, préoccupé par cette histoire de poison fulgurant, songeait soudain que Varencourt avait peut-être piégé son appartement avec des aiguilles enduites de curare.
    Margont ramassa la Bible, puis le marque-page. Il s’agissait d’une pochette en papier. À l’intérieur se trouvait une mèche de cheveux d’un blond très clair. Elle ne provenait pas de la chevelure de Catherine de Saltonges. L’épouse moscovite de Charles de Varencourt avait dû la lui offrir, juste avant qu’il ne rallie l’armée russe. Voilà probablement tout ce qui restait de cette femme aujourd’hui...
    Les autres objets étaient d’usage courant : un peigne, un broc, des vêtements... Rien qui eut un lien avec le passé russe de Charles de Varencourt ou avec ses projets actuels.
    Faubourg Saint-Germain, dans l’hôtel particulier de Catherine de Saltonges, ils ne firent aucune découverte intéressante. Des policiers avaient lu des lettres trouvées dans un secrétaire, mais aucune n’émanait de Charles de Varencourt ; les livres de la bibliothèque ne présentaient pas de particularité ; les domestiques confirmèrent que Varencourt ne s’était jamais rendu là...
    Quand Margont décida de s’en aller, Palenier lui serra la main en lui disant :
    — Tenons-nous au courant si nous avons du nouveau !
    — Mais cela fonctionne toujours de moi à vous, jamais en sens inverse...
    — Pas du tout !
    — J’ai compté six policiers chez Mlle de Saltonges, quatre chez Varencourt. Avec celui qui vous accompagne et vous-même, cela fait douze personnes. Toute une armée ! D’autant plus que je suppose que ce n’est que la partie visible d’un dispositif plus vaste encore...
    — Mais c’est qu’il y va de la sécurité de l’Empereur ! Il s’avère qu’il est malheureusement impossible d’avertir Sa Majesté de ce danger. Avec tous ces ennemis entre l’armée et nous...
    Titubant de sommeil, Margont s’en alla, accompagné de Lefine.
    Timidement, le jour se levait, aventurant quelques rayons de soleil qui traçaient des bandes dorées entre les nuages. C’était déjà le 29 mars. Margont enfourcha sa monture. Mais Lefine restait immobile.
    — J’ai une requête, dit-il. Notre enquête est bloquée. De ce côté-là, on ne peut qu’attendre la suite des événements. ... Faut-il vraiment que je rentre sur-le-champ à la caserne ? Oh, je serai là pour la grande bataille, n’en doutez pas. Mais, dans la mesure où nous serons peut-être tués tous les deux demain, de quelle manière vais-je passer mes dernières heures ? À présenter les armes sous les invectives de notre colonel et néanmoins ami ? Ou en compagnie d’une charmante personne qui m’est chère ?
    Margont prit un papier et rédigea un laissez-passer. Il signalait son identité, son grade et le fait que Lefine et lui étaient en mission sur l’ordre personnel de Joseph I er .
    — Tu as jusqu’à midi. Je ne peux pas te donner plus...
    Lefine prit le sauf-conduit avec joie, bondit en selle et partit au trot. Jusqu’à cet instant, Margont avait songé à rejoindre sa légion. Mais son ami n’avait pas tort. Que faire de ce qui était peut-être l’avant-dernier jour de son existence ? Hélas, lui n’avait pas de «chère amie »... Allez ! Il se donnait jusqu’à midi. Midi ! Après, il dormirait un moment, puis il irait retrouver ses soldats. Jusqu’à midi... Juste quelques heures pour lui... Il y avait bien droit. Reprenant de la vigueur, il lança sa monture en direction du Louvre.

 
    CHAPITRE

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