La mémoire des flammes
une imprimerie ! dit le vicomte de Leaume.
— J’ai tout entendu...
— Si les avis n’avaient pas pu se départager, auriez-vous voté la vie ou la mort ? lui demanda Margont.
Elle baissa les yeux, comme il le désirait.
— Comment pouvez-vous parler ainsi ? Je n’aurais pas... Je... Sans moi ! Mais vous ne me plaisez pas, monsieur. Vous mélangez le vrai et le faux. Cela m’écoeure.
Son visage exprimait le dégoût, comme si les mensonges de Margont avaient dégagé une odeur de pourriture.
— En avons-nous terminé avec mon admission ? demanda-t-il. Agissons et, avec l’aide de Dieu, nous remporterons la bataille ! Je propose que...
— Ne décidons rien pour l’instant ! le coupa Catherine de Saltonges. Vous allez bien vite, chevalier...
— Et la situation va plus vite encore !
Leaume intervint à son tour.
— Nous reprendrons contact avec vous. Sachez que j’interdis formellement que les membres de notre groupe se fréquentent en dehors des rencontres officielles, et ce, quel qu’en soit le motif. Chacun répond de cette règle sur sa vie. M’avez-vous bien compris ?
— Oui. Mais si j’ai besoin de vous joindre ? Il faut bien que je puisse...
— Cela ne vous sera pas possible, intervint Jean-Baptiste de Châtel. Nous partirons les premiers.
Catherine de Saltonges et Honoré de Nolant s’en allèrent, suivis de Jean-Baptiste de Châtel. Le vicomte de Leaume s’attardait. Il dénoua son foulard tout en fixant Margont.
— Monsieur de Langés, ne sous-estimez pas notre détermination.
Il révéla alors une marque. On avait découvert dans les îles du Pacifique et dans le Nouveau Monde ces pratiques consistant à se marquer la peau de manière indélébile. De grands explorateurs, comme Cook, avaient amené en Europe des insulaires tatoués. Le prestige de ces aventuriers et le goût de l’exotisme s’étaient combinés pour faire naître cette mode du tatouage. Par le passé, le comte Tolstoï, revenu d’Océanie, avait exhibé ses tatouages dans les salons de Saint-Pétersbourg, déclenchant l’enthousiasme de la noblesse russe. La légende racontait que la Grande Catherine s’était fait tatouer en un lieu très particulier... L’ancien maréchal Bernadotte, durant ses années révolutionnaires, s’était fait inscrire sur la poitrine la devise : « Mort aux rois. » Dire qu’il était devenu prince héritier de Suède et rêvait d’évincer Napoléon et Louis XVIII pour devenir roi de France...
Le motif choisi par Louis de Leaume était étrange. Il s’agissait ― Margont se rapprocha en fronçant les sourcils –, oui, il s’agissait bien d’un tracé en pointillé, comme ceux que font les couturiers et les tailleurs sur un tissu qu’ils s’apprêtent à découper. Ce symbole indiquait l’endroit où il fallait trancher, tout le long du cou du vicomte de Leaume...
— Je me battrai jusqu’au bout, chevalier. J’ai appris à vivre en permanence avec le couperet de la guillotine au-dessus de la nuque !
Sur ce, il sortit et disparut dans la nuit.
Margont patienta en compagnie de Varencourt.
— Vous étiez au courant de l’accueil qui m’attendait ?
— Pas du tout, je vous le jure ! S’ils vous avaient... Enfin, si vous ne les aviez pas convaincus de votre sincérité, je me demande ce qu’ils auraient décidé à mon sujet...
Il commençait enfin à reprendre ses couleurs habituelles. Margont le scrutait sans s’en cacher.
— Qui m’a suivi jusqu’à l’imprimerie ?
— Je ne sais pas.
Ils sortirent et Varencourt referma la porte derrière eux en chuchotant :
— Inutile que vous fassiez surveiller cette maison. Ils n’y reviendront jamais. Le vicomte de Leaume interdit de retourner sur nos lieux de rendez-vous. Lui-même s’impose des mesures encore plus strictes : il ne dort jamais deux fois dans le même lit...
— Mais à qui appartient ce logement ?
— À l’un de ces nombreux nobles français qui vivent en exil en attendant la chute de Napoléon. Ils ont laissé en France des biens, des propriétés... Une partie a été pillée ou saisie durant la Révolution et les années qui ont suivi... Mais des endroits comme celui-ci, il en reste ! Le vicomte de Leaume a vécu deux ans à Londres. Il y a gagné la confiance de riches personnages avec lesquels il a conservé des liens. Grâce à eux, il possède des dizaines de clés qui ouvrent la porte de trous de ce genre. Eux sirotent du brandy
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