La mémoire des flammes
de vies qu’un chat ! On le disait perdu en 1805, il y a eu Austerlitz, fini en 1806 et ce fut Iéna, écrasé en 1809 à Essling et il renversa la situation du tout au tout à Wagram... Le roi a besoin d’aide ! Contre Bonaparte... mais aussi contre les Alliés ! Bernadotte ne se contente plus de la Suède, il veut devenir roi de France ! Et si le Tsar ou l’empereur d’Autriche acceptent un compromis et proposent de laisser son trône à Napoléon ? Ou d’organiser une régence jusqu’à ce que le roi de Rome atteigne l’âge de gouverner et devienne Napoléon II ? Non ! Si les Alliés sentent que les Français abandonnent Bonaparte, ils mèneront le combat jusqu’au bout. Et, si nous, les nobles de France, nous participons de manière indiscutable à la victoire, alors Louis XVIII s’imposera !
— Je ne vous aime pas, monsieur, mais vous ne manquez pas de courage.
— Et nous en avons besoin, de courage ! Soulevons les Français ! Mais, pour cela, encore faut-il qu’ils nous entendent... Couvrons Paris d’affiches !
— Pourquoi avez-vous besoin de nous ?
— Je ne peux pas agir seul. Quand j’imprimerai mes proclamations, ce sera de nuit et en cachette. Il me faudra des complices pour faire le guet, puis pour les coller. En outre, il faut associer les actions afin que celles-ci s’imposent avec plus de force encore. Je pense que, vous-mêmes, vous poursuivez vos propres plans. Pour finir, je... je... hum...
— Pour finir ?
— Eh bien, comment formuler les choses sans vous irriter ? Je vais faire beaucoup pour le roi... Mais je ne suis pas introduit auprès de Sa Majesté, or je ne voudrais pas que mes services demeurent anonymes.
— Vous comptez sur nous pour que nous parlions de vous à Sa Majesté ? demanda l’inconnu, stupéfait.
— C’est cela même. Où est le mal ? Je ne me fais aucune illusion sur la nature humaine. Que Sa Majesté Louis XVIII obtienne enfin le trône qui lui revient de droit divin et on accourra de toute la France pour la courtiser ! Ceux qui ont trahi le roi ou qui n’ont rien fait côtoieront sans vergogne les véritables héros de la Restauration. Qui témoignera alors de ce que j’ai fait ? Êtes-vous vraiment aussi choqué que ce que votre voix semble l’indiquer ? Pouvez-vous jurer sur la sainte Bible que ni vous ni aucun de ceux qui sont dans cette pièce n’espérez de récompenses pour vos bons et loyaux services ?
— Ce n’est pas notre propos ! Nous, nous n’agissons pas que par appât du gain !
— Mais moi non plus...
— Si nous allumions une chandelle ?
La lame s’éloigna et on libéra Margont. Quand le halo de la flamme apparut, bulle de lumière jaunâtre, ses yeux s’emplirent de larmes.
CHAPITRE X
L’homme qui avait interrogé Margont devait avoir environ quarante-cinq ans. Sa présence ne déparait pas sa voix. Carré, exalté, impatient, il semblait n’attendre qu’une chose : se jeter dans la bataille. Il avait du brio, du talent. Aurait-il choisi de servir l’Empire qu’il se serait certainement élevé dans la hiérarchie, civile ou militaire. Mais il avait décidé de soutenir le roi, sa « Grande Armée » n’était qu’un groupe évalué à une trentaine de membres et, au lieu d’évoluer dans des palais ennemis dont il se serait emparé, il se terrait de cave en cave. Il était une sorte d’ange déchu précipité dans les limbes avec la royauté. Bien qu’il fut un idéaliste, il devait souffrir de ne pas occuper un rang digne de ses talents. L’argument de Margont concernant le besoin d’être reconnu l’avait d’autant plus choqué qu’il avait fait mouche... L’emblème des Épées du Roi était épinglé sur son habit, au niveau du coeur. Margont l’observa brièvement, comme s’il le voyait pour la première fois, et ce symbole lui parut correspondre en tout point à celui qu’il avait vu sur la dépouille du colonel Berle.
— Je suis le vicomte Louis de Leaume.
— Enchanté ! dit Margont en se massant la gorge.
— Baron Honoré de Nolant.
Lui s’empêtrait dans sa gêne. Ce n’est pas tous les jours que l’on se présente à la personne que l’on a failli assassiner quelques instants plus tôt... Un peu plus jeune que Louis de Leaume, il était maigre. Il ne fallait toutefois pas se fier à son allure chétive, car il avait su maîtriser Margont avec efficacité. Son regard était fuyant et se perdait dans le vague, ce qui donnait
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