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La mémoire des flammes

La mémoire des flammes

Titel: La mémoire des flammes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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l’impression qu’il était en permanence plongé dans ses pensées.
    Varencourt était pâle. Il n’osait pas bouger, comme s’il n’avait pas encore réalisé que cette épreuve était terminée. Se tournant enfin vers Margont, il lança :
    — Incroyable ! Vous êtes encore plus joueur que moi !
    Son rire fit rougir ses joues, mais le reste de son visage demeura blanc porcelaine.
    Un troisième homme se présenta, qui était demeuré silencieux jusque-là.
    — Jean-Baptiste de Châtel.
    Tapi non loin de la porte, il aurait pu intercepter une tentative de fuite. Bien qu’étant le plus âgé, il n’avait pas cinquante ans. Un visage osseux, des yeux plissés, scrutateurs. Son corps, famélique, laissait supposer qu’il était malade, ou qu’il avait connu de longues années de privations.
    Margont réalisa qu’il était passé devant une sorte de tribunal. Tous l’avaient écouté et, quand Louis de Leaume avait proposé d’allumer une chandelle, n’importe lequel d’entre eux, en répondant non, aurait voté sa mort... Or Jean-Baptiste de Châtel ne cachait pas son mécontentement. Lui, il avait envisagé de refuser la lumière !
    — Monsieur de Langés, vous vous êtes permis de nous proposer un serment sur la sainte Bible. Mais que connaissez-vous de la parole de Dieu ?
    — « Tu ne tueras point », répondit Margont en adressant un regard à Honoré de Nolant.
    — C’est un peu court.
    Margont était prisonnier de ce personnage d’arriviste provocateur qu’il avait improvisé. Pour ne pas choquer les puristes, les idéalistes, il tempérait par la foi cet opportunisme affiché. Manifestement, ce dernier point troublait Jean-Baptiste de Châtel. Il répondit :
    — « Il a méprisé le serment, il a rompu l’alliance ; il avait donné sa main, mais il a commis toutes ces fautes ; il n’échappera pas ! C’est pourquoi ainsi parle le Seigneur, l’Éternel : Je suis vivant ! C’est le serment fait en mon nom qu’il a méprisé, c’est mon alliance qu’il a rompue. Je ferai retomber cela sur sa tête. » Ézéchiel, chapitre 17, versets 18 à 19. Qui se pagure offense Dieu Lui-même et rompt avec Lui.
    L’expression de Jean-Baptiste de Châtel s’inversa du tout au tout, tel un morceau de glace se transformant instantanément en vapeur. Voilà qu’il semblait sur le point de serrer Margont dans ses bras.
    — Bien, fort bien !
    Dans l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert, Margont avait passé quatre années à étudier la Bible sous la férule des moines. Il avait même failli devenir l’un des leurs, bien que ce fût contre son gré. Alors, dans le domaine théologique, il était difficile de le prendre en défaut. Lorsque l’on ment, l’une des meilleures tactiques n’est-elle pas d’entraîner l’adversaire sur un terrain connu ?
    — Que savez-vous de l’Antéchrist ? lui demanda Châtel.
    Margont crut que celui-ci continuait à tester ses connaissances en abordant un sujet inhabituel.
    — « Il abattra trois rois. Il prononcera des paroles contre le Très Haut, il opprimera les saints du Très Haut et il espérera changer les temps et la loi », Daniel... Je ne me souviens plus du chapitre...
    Jean-Baptiste de Châtel exultait.
    — Magnifique ! Un croyant, un vrai ! Alors, Quentin – puis-je vous appeler ainsi ? –, vous qui connaissez si bien les Saintes Écritures, n’est-il pas évident que Napoléon est l’Antéchrist ?
    Margont, abasourdi, se demanda si son interlocuteur ne se moquait pas de lui. Sa réaction causa une fêlure dans la joie cristalline de Jean-Baptiste de Châtel.
    — Mais enfin, cela coule de source, monsieur de Langés !
    Margont était dérouté par une théorie aussi extrême. Jean-Baptiste de Châtel s’en formalisa et ne lui adressa plus un mot. Leur alliance avait duré le temps de quelques versets... Et la belle tactique de Margont se retourna contre lui : loin de s’allier avec Jean-Baptiste de Châtel, il s’en était fait un ennemi.
    — Notre croisé a-t-il terminé son prêche ? demanda Louis de Leaume avec une ironie telle que ses mots ressemblaient à une gifle.
    Manifestement, lors d’une admission, il n’entrait pas dans les usages du groupe qu’un membre se permette d’accaparer ainsi la parole au détriment du chef. Par sa repartie, le vicomte avait souhaité réaffirmer son rôle de meneur. Mais Jean-Baptiste de Châtel, loin de se soumettre à ce rappel à l’ordre, adressa un

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