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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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trucs-là ?
    — Tu rigoles ! C’est his-to-ri-que !
    Micheline Ballu gratifia d’une révérence avortée le noble professeur, qui se tapota la commissure des lèvres, plia sa serviette et s’esquiva, en quête d’admiratrices plus accortes.
    — C’que c’est, l’instruction ! Sans mentir, ceux qu’tu fréquentes ici n’sont point des virgules dans l’Encyclopédie !
    Le départ du couple permit à Mme veuve Simonet de desservir.
    — Je n’ai que des louanges à formuler au sujet du capitaine Ballu. En revanche, sa cousine est un authentique fléau, maugréa-t-elle à l’intention de la servante.
    — Ah ça ouiche, madame. Heureusement que vos autres pensionnaires y ont échappé, en particulier M. et Mme Dussault, ils sont si pisse-froid !
    Mais M. et Mme Dussault, anciens herboristes, se heurtèrent aux Ballu devant le domicile du chimiste Anselme Payen, transformé par sa fille en maison de retraite, ce qui valut au mari cette réflexion de sa diaphane épouse, dont le buste demeurait plat en dépit de multiples écarts alimentaires :
    — Elle creuse sa tombe avec ses dents, cette pipelette de la rue des Saints-Pères ! Une chichiteuse, une pourvue !
    — Où qu’tu m’ conduis ce dimanche, mon Poulot ? s’enquit Micheline Ballu.
    Elle n’avait pas le droit de laisser son immeuble sans surveillance, mais elle s’était arrangée pour se faire remplacer par Lulu, la nièce de la patronne du Temps perdu , havre des élèves de l’École des beaux-arts qui refaisaient le monde en sirotant de la bière. Dès le début de ces sorties bimensuelles, Alphonse Ballu, alias Poulot, avait décrété qu’il aurait l’honneur de les organiser, et sa cousine celui de les payer.
    — Eh bien, Mimine, j’avais pensé musarder vers le pont de Grenelle, nous pourrions détailler la réduction de la statue de la Liberté, ce qui fait de Paris le New York de la France, et je ne l’ai jamais examinée de près ! Ensuite, on irait se goberger dans un troquet de la rue de Javel.
    À la mention de ce dernier nom, Micheline Ballu éprouva un haut-le-cœur, tant la dégoûtait le désinfectant employé à briquer l’immeuble de la rue des Saints-Pères confié à ses soins de concierge.
    — Quelle bêtise ! grommela-t-elle. S’enterrer au fond d’un faubourg industriel, alors que ton garni de la rue de Lille était situé à deux pas de ton travail…
    — Terriblement bruyant et peuplé de cafards. Qu’as-tu contre les usines ? Songe un peu que notre arrondissement centralise des ateliers de constructions mécaniques, une fabrique de jouets, une entreprise de charpente, un atelier d’appareils hydrauliques, j’en passe et des meilleures, on ne l’appelle pas « la ville du fer » pour rien. C’est très intéressant, les usines, et puis c’est nécessaire, justement, cet après-midi, je t’en montrerai quelques-unes, et si on a du poil au cœur, on poussera jusqu’au puits artésien de la place de Breteuil.
    Il se garda de divulguer la motivation de la première phase de ce programme : emprunter dans les deux sens la rue des Entrepreneurs, où le salon de coiffure serait fermé mais où peut-être Lucy se pencherait à sa fenêtre. Un fracas coupa court à la conversation, le temps que deux chevaux blancs lancés au galop entraînent la pompe à incendie de la caserne Violet.
    — C’est égal, protesta Micheline Ballu, dans une quinzaine je souhaite que tu dégotes un endroit qui m’élèvera l’esprit.
    — Et où veux-tu gambader ? Sur la tour Eiffel ?
    À la perspective de cette ascension, Alphonse Ballu étouffa un bâillement.
     
    Benoît Magnus étira ses membres ankylosés après avoir subi un flot de cauchemars. Hébété, il fixa le papier mural parsemé de fleurs défraîchies. Il y discerna de minuscules pupilles exsudant une telle malveillance qu’il sauta hors du lit, puisa de l’eau dans son broc et s’humecta le front. Un bourdonnement lui fit dresser l’oreille. La pendule, pourquoi n’avait-elle pas sonné ? Neuf heures dix ! Mon Dieu ! Vite, se raser, endosser ses vêtements, zut, plus de café, trop long à préparer, tant pis, il s’en priverait. Au moment où il enduisait son blaireau de mousse la réalité lui pinça les entrailles. Licencié ! Un coup d’œil à la médaille le révolta. Sous prétexte de le béatifier, on l’envoyait moisir comme une épluchure dans le fumier d’une retraite honteuse. Il s’affala sur le matelas,

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