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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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le prince de Galles et le prince de Sagan afin d’en revenir au feutre de Victor Hugo et de vous persuader qu’une tête bien remplie vaut mieux qu’une tête bien chapeautée.
    Décontenancée, Raphaëlle de Gouveline câlina ses toutous adorés. Comme Joseph était seul à l’écouter, elle se rabattit sur lui, l’empêchant de classer les huit volumes in-douze des Mille et Une Nuits acquis la veille.
    — J’aimerais tant procurer un moïse à mes chéris ! Ils ont lacéré celui dont votre épouse m’avait comblée. Consentirait-elle à m’en confectionner un second ?
    Il s’apprêtait à répliquer, lorsque la porte livra passage à une femme en toilette de soie jaune et large capote liserée de velours, qui honora d’un hochement de menton Raphaëlle de Gouveline et accosta Kenji d’un « Bonjour, monsieur Mori ! » retentissant.
    — Mes hommages, madame. Quelle surprise ! La concurrence a cessé de vous contenter ?
    Olympe de Salignac avait toujours jugé superflu d’admettre ses erreurs. Sur un coup de tête, parce qu’on ne la servait pas assez vite, elle avait, l’année précédente, claqué la porte de la librairie Elzévir. En réalité, elle regrettait son ambiance bon enfant et l’érudition de ses propriétaires et elle estimait les avoir suffisamment boudés. Elle enchaîna sans tenir compte de la remarque :
    — Cet Émile Zola, je le méprise. Il s’obstine à souiller les nobles entreprises civilisatrices. Néanmoins, je tiens à parcourir son dernier roman, Rome , édité chez Charpentier, car on m’a assuré que, selon lui, la cité des papes est restée païenne et que sur les rives du Tibre déambulent les héritiers des Césars obsédés par la manie du grandiose. Voilà ce que je ne puis tolérer, surtout depuis que j’ai appris la nomination d’ambassadeur auprès du Saint-Siège de mon ami M. Poubelle 8 .
    — Je l’ai lu, moi, ce livre odieux ! s’exclama Raphaëlle de Gouveline. Le héros est un jeune prêtre qui énumère les changements de l’Église à travers les âges, et la conjure d’adopter l’idéal primitif dont elle est issue. Quel culot !
    Avec une exaspération non déguisée, Kenji congédia ses fiches.
    — Nous n’en avons plus en réserve. Dois-je vous en commander un ?
    — Portez-m’en deux. Ah ! Et puis adjoignez-y Confidences conjugales , de Mlle Marie Anne de Bovet, chez Lemerre. Ma nièce, Mme de Pont-Joubert, a soif de parfaire son éducation.
    L’acidité de cette allusion irrita Joseph. Jadis, son cœur s’était emballé pour Valentine de Salignac, avant qu’elle n’épousât un gommeux à particule. Il enfila sa veste et se préparait à décamper, quand Raphaëlle de Gouveline l’interpella.
    — Qu’en est-il du moïse ?
    — Je transmettrai votre requête à Iris, nous ne vivons plus ici ! Mes respects. Au revoir, à lundi ! lança-t-il avec un geste de connivence à Kenji, qui lui rendit son salut et se leva.
    — Mesdames, l’heure de la retraite a sonné.
    — Ils n’habitent plus ici ? répéta Raphaëlle de Gouveline.
    — Les oiseaux désertent le nid dès qu’ils ont la faculté de voler, les humains dès qu’ils peuvent se payer un loyer, décréta-t-il en les reconduisant jusqu’à la rue. Hélas ! ajouta-t-il in petto.
    Jamais Joseph ne remercierait assez Remy de Gourmont, homme de lettres cultivé et timide auquel son Joujou patriotisme avait valu son renvoi de la Bibliothèque nationale en 1891, et qui travaillait désormais au Mercure de France . Tous deux affligés d’une disgrâce physique, une légère bosse pour l’un, un lupus tuberculeux au visage pour l’autre, tous deux épris de livres, que Remy de Gourmont, chineur invétéré, ne dédaignait pas de revendre par l’entremise d’une bouquiniste du quai Malaquais. Joseph avait conscience de n’être qu’un modeste feuilletoniste inapte à rivaliser avec l’auteur du Latin mystique et de Sixtine . Remy de Gourmont, client assidu de la librairie Elzévir, s’était montré encourageant envers celui qui avait exercé la fonction de commis, avant de devenir l’associé de ses beau-frère et beau-père, MM. Legris et Mori. Il lisait volontiers ses récits extravagants. Aussi, quand il avait su que Joseph aspirait à déménager, l’avait-il averti en bégayant qu’une de ses relations était sur le point de quitter un trois-pièces à loyer très raisonnable au 31, rue de Seine.
    Convaincre Iris de s’expatrier

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