La mort du Roi Arthur
qu’elle a procédé avec son mari ? Mais comment y parvenir, sinon en me mariant à mon tour ? »
Ainsi germa dans l’esprit de Tristan le projet de se marier. Et pouvait-il mieux choisir que cette Yseult aux Blanches Mains qui était si belle et qu’on ne manquerait pas de lui accorder ? « Si j’épousais cette jeune fille, se disait-il, je pourrais connaître les sentiments de la reine. Sera-t-elle jalouse ou indifférente ? Je l’ignore, mais, quant à moi, je saurai si le mariage et l’amour strictement charnel sont capables de me la faire oublier. Il ne s’agit certes pas, ce faisant, de me venger d’elle – je ne la hais point – mais de connaître et ses sentiments et les miens. » Alors, sans plus tarder, il alla trouver la jeune fille et lui demanda si elle consentirait à l’épouser. Or Yseult, non contente de l’admirer fort, l’aimait en secret depuis longtemps. Aussi accueillit-elle favorablement sa requête et, dans sa joie, elle alla en parler immédiatement à son père, le comte Hoël, et à son frère, le preux Kaherdin. L’un et l’autre s’en déclarèrent infiniment satisfaits, car ils n’avaient pas de plus cher désir que d’admettre le valeureux Tristan de Lyonesse dans leur famille.
Le jour des noces étant arrêté, Tristan invita ses amis, le comte Hoël et les siens et, lorsque tout fut prêt, Tristan épousa Yseult aux Blanches Mains. Après que le chapelain eut célébré la messe et accompli les rites prescrits, toute l’assistance prit part à un grand festin, puis l’on consacra le reste de la journée à se divertir en joutes et en jeux divers.
La nuit venue, on prépara le lit nuptial où l’on coucha la jeune fille, tandis que Tristan se faisait ôter la tunique dont il était revêtu. Mais, en le déshabillant, les valets lui firent tomber du doigt la bague remise par la reine Yseult lors de leur séparation. Au léger tintement qu’elle produisit en touchant le sol, Tristan regarda, la vit, sursauta, et il éprouva une telle angoisse qu’il crut défaillir. « Comment ai-je pu commettre un tel acte ? se dit-il à part lui. Ce mariage me contrarie, et pourtant je l’ai voulu moi-même. Et maintenant, me voici forcé de coucher avec celle dont j’ai fait ma légitime épouse. Oui, c’est avec elle que je dois coucher, et il m’est interdit de la délaisser. Hélas ! de quelle trahison me suis-je rendu coupable envers la reine à qui j’avais promis de l’aimer jusqu’à mon dernier souffle ! Que faire, maintenant ? De quelque côté que je me tourne, je ne suis plus que désarroi ! M’engager dans le mariage me coûte beaucoup, abandonner mon épouse me coûterait encore bien davantage. Quelque plaisir que j’en retire, j’ai l’obligation de coucher dans son lit. Ah ! la belle histoire ! Je voulais oublier la reine, et c’est elle-même qui m’interdit d’aller plus loin avec mon épouse… »
Il se laissa néanmoins dévêtir et alla s’étendre dans le lit au côté d’Yseult aux Blanches Mains. Toutefois, il poursuivait en lui cette discussion qui lui paraissait interminable. « Par Dieu tout-puissant, me voici dans un fâcheux guêpier ! Si je ne couche pas avec mon épouse, quelle réprobation cela me vaudra ! On doutera de ma virilité et, de tous côtés, on répétera que je ne suis pas un homme. Je serai haï et honni par Yseult aux Blanches Mains, par ses parents et par tous les gens de ce pays. Qu’adviendra-t-il sitôt que nous nous retrouverons seuls dans cette chambre ? Que pensera de moi mon épouse si je ne lui fais ce qu’au fond de moi-même j’exècre le plus et qui me contrarie le plus ? Elle comprendra que j’en aime une autre. Elle serait bien sotte si elle ne se doutait pas que je lui préfère une autre femme et que j’aimerais mieux m’étendre auprès de celle-là pour en obtenir davantage de plaisir. Certes, si je refuse toute relation avec elle, je n’en retirerai qu’opprobre et douleur ! »
Or, comme il se tournait et se retournait, tel un homme en proie à une violente fièvre, les valets et tous les gens qui étaient là prirent son attitude pour de l’impatience. Ainsi se hâtèrent-ils de quitter la chambre, n’y laissant allumées que quelques chandelles. Tristan et Yseult aux Blanches Mains se retrouvèrent donc seuls pour leur nuit de noces. Se blottissant contre lui, elle se mit à lui embrasser la bouche et le visage, et elle soupirait, tant l’embrasait de
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