La mort du Roi Arthur
et j’en éprouve trop de peine ! Je voudrais bien que Lancelot me fût indifférent mais, malheureuse ! il n’est instant où je ne pense à lui, il n’est moment où je ne désire être dans ses bras ! Je sais trop bien que je suis folle, mais le destin veut que je meure à cause de lui. » Et la jeune fille se précipita vers le pré, le corps tout agité de tremblements et son beau visage tout noyé de larmes {26} .
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L’Éternelle Brûlure
Depuis son retour de la quête du Graal, au cours de laquelle il avait essuyé échec sur échec, Tristan de Lyonesse {27} était plus tourmenté que jamais, par la faute de l’amour qu’il vouait à Yseult, femme du roi Mark, son oncle. Ce dernier lui avait interdit de reparaître à sa cour et, chaque fois que Tristan, incapable de supporter plus longtemps d’être privé d’Yseult, se rendait en Cornouailles pour la rencontrer, il devait le faire en cachette, se déguiser sans cesse pour déjouer la surveillance du roi et surtout celle des barons qui lui manifestaient autant de haine que de jalousie. Après avoir quitté la cour d’Arthur, il avait passé la mer et pris du service auprès du comte Hoël de Karahès, lequel appréciait grandement sa valeur et sa prouesse, le tenait en haute estime et lui manifestait souvent sa reconnaissance et son affection par de somptueux cadeaux. Cependant, malgré les attentions du comte Hoël, malgré l’amitié indéfectible que lui portait aussi le fils de celui-ci, Kaherdin le Preux, Tristan se tenait le plus souvent à l’écart de toute réjouissance et se renfermait dans la mélancolie de son deuil intime.
Or, le comte Hoël avait également une fille que l’on appelait Yseult aux Blanches Mains. En entendant prononcer son nom pour la première fois, Tristan n’avait pas manqué de sursauter et de regarder attentivement celle qui portait le nom de sa bien-aimée. Brune de chevelure, Yseult aux Blanches Mains était mince, avenante ; elle avait un visage agréable, et sa peau, d’une blancheur éclatante, justifiait amplement l’appellation qui était la sienne. La coïncidence avait beaucoup troublé Tristan qui, par ailleurs, ne pouvait s’empêcher de rendre hommage à la beauté de la sœur de son compagnon Kaherdin. C’est ainsi qu’il en vint à réfléchir sur sa vie et sur l’amour insensé qu’il éprouvait pour la reine Yseult qui, tout inaccessible et lointaine qu’elle était, continuait de hanter ses songes toutes les nuits.
Lorsqu’il se trouvait seul, au cours de ses chevauchées à travers le pays, il lui arrivait de s’adresser à elle, tout haut, comme s’ils étaient face à face. « Ah ! Yseult, belle amie, disait-il, à cause de toi, je perds joie et plaisir, je passe ma vie à souffrir de ton éloignement, tandis que toi, Yseult, tu mènes une existence heureuse auprès d’un mari qui t’aime et te comble. Hélas ! je ne fais rien que te désirer, cependant que toi, tu ne peux éviter d’obtenir le plaisir et la joie. Tu agis à ta guise, et moi je souffre dans mon corps lorsque le roi s’ébat en ta compagnie. À quoi sert-il d’attendre quand on doit toujours s’abstenir de son bien ? À quoi sert-il de préserver un amour sans espoir ? Par amour pour toi, j’ai enduré bien des peines et des douleurs, mais toi, amie Yseult, qu’y a-t-il de changé dans ta vie ? Rien ! tu es aimée, tu es comblée. Et, pendant ce temps, moi, je me morfonds dans la souffrance, le cœur étreint d’angoisse et la chair meurtrie par une brûlure qui ne peut pas s’apaiser. »
Alors, l’amertume le submergeait. L’idée lui venait à l’esprit que la reine Yseult, privée de sa présence, l’oubliait peu à peu et puisait dans l’amour du roi Mark de véritables compensations. Et il se lançait dans un long monologue intérieur : « Elle est si heureuse avec son époux qu’elle en oublie tout son amour pour moi. Elle éprouve tant de plaisir avec lui qu’elle oublie forcément son amant. Que vaut à ses yeux mon amour en comparaison des jouissances que lui procure son mari ? Qu’ai-je à faire, moi, puisqu’elle oublie notre amour, de me souvenir d’elle ? Il me faut cesser de l’aimer ! Je veux renoncer à elle comme elle l’a fait de moi ! Hélas ! En suis-je seulement capable ? Je dois me le prouver et par des actes ! Je me libérerai et, pour ce faire, j’adopterai une attitude opposée à celle qu’inspire l’amour. N’est-ce pas ainsi
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