La mort du Roi Arthur
insister, Mariadoc sortit sans ajouter un mot, le cœur lourd de tristesse, et fort humilié que la reine l’eût traité de manière si insolente. Quant à Yseult, une fois seule, elle s’abandonna à son chagrin. « Aucune femme ne peut se fier à un homme ! se disait-elle. On ne doit jamais croire quelqu’un qui prétend aimer. Car voici que Tristan a rejoint les trompeurs et les traîtres en se mariant en pays étranger ! » Et, ressassant de sombres pensées, elle se mit à pleurer d’abondance {29} .
Or, si la reine Yseult se désolait ainsi, Tristan, en Bretagne armorique, n’était pas moins désespéré auprès de celle qu’il venait d’épouser. Il était toutes les nuits en proie aux cauchemars les plus effrayants et consacrait toutes ses journées à errer, solitaire, triste et pensif, par les landes, sans plus désirer seulement tenir son rang parmi ses compagnons. Et cette vie lui devint si intolérable qu’il décida d’aller en Cornouailles, au péril de sa vie, afin d’y voir celle qu’il n’avait jamais cessé d’aimer. Mais comme il se défiait de tout le monde et ne voulait pas que son entourage soupçonnât son projet, il décida, après mûre réflexion, de prendre la route à pied et non à cheval, car un pauvre équipé d’un bâton passe plus facilement inaperçu qu’un chevalier. Et, tout en élaborant son plan, il s’efforçait de donner le change tant à son épouse Yseult aux Blanches Mains qu’à son compagnon d’armes Kaherdin.
Un matin, alors que tout reposait encore dans le manoir, il se leva, revêtit des vêtements ordinaires et, avant même que le soleil ne fût levé, il s’en alla directement vers la mer. Sans prendre le temps de faire étape, il parvint vers le soir dans un port où il aperçut un navire prêt à prendre le large, avec tout son équipement. Le bâtiment paraissait aussi beau, solide et spacieux que peut l’être un bon navire marchand. Comme les marins, désireux de profiter au plus tôt du vent favorable, hissaient les voiles et levaient l’ancre, Tristan s’avança sur la grève et leur cria : « Seigneurs, Dieu vous garde ! Où allez-vous s’il plaît à Dieu ? – En Cornouailles, seigneur, répondirent-ils, et nous n’aspirons qu’à y arriver sans encombre le plus tôt possible. – Fort bien, reprit Tristan, voulez-vous m’emmener ? » Après une brève discussion, l’un des matelots lui répondit : « Si tel est ton désir, monte donc à bord mais dépêche-toi, car nous partons immédiatement. » Sans hésiter un instant, Tristan sauta par-dessus le bastingage et se retrouva, tout heureux d’avoir pu saisir cette opportunité, dans le navire.
Le vent gonflait le haut des voiles, et le bateau se mit à filer sur les flots. Grâce à force bon vent, on se dirigea droit sur la côte de Cornouailles, et la navigation ne dura que deux nuits et un jour. Au matin du second jour, ils touchèrent Tintagel, précisément dans le port où séjournait le roi Mark, avec la reine Yseult, parmi les chevaliers qui s’y trouvaient réunis.
Tintagel était une forteresse très puissante et des plus remarquables, dotée d’un donjon massif et altier qu’avaient construit des géants dans les temps anciens. Ils en avaient disposé et jointoyé les pierres, toutes de marbre, avec autant d’art que de solidité. Quant au rempart, il présentait une surface bigarrée toute miroitante d’azur et de sinople. Du haut de la superbe poterne, aussi large que formidable, deux hommes d’armes surveillaient jour et nuit entrées et sorties. En la compagnie de Bretons et de gens de Cornouailles, le roi Mark en avait fait sa résidence favorite, car il aimait, tout comme Yseult d’ailleurs, particulièrement le site. Aux alentours se voyaient beaucoup de prairies, forêts, sources d’eaux douces, de belles fermes, et le poisson, comme le gibier, abondait. Les navires de haute mer abordaient directement au port que surplombait le château.
Aussi les visiteurs du roi Mark, qu’ils fussent ses familiers ou des étrangers, choisissaient-ils pour la plupart les routes maritimes, et les voir accoster redoublait sa prédilection pour Tintagel, dont la position était admirable au sein de ce pays riche, prospère et plaisant. On avait jadis baptisé Tintagel le Château Enchanté, surnom qui lui convenait parfaitement car, deux fois l’an, la cité, à en croire les paysans, s’évanouissait. Nul, disaient-ils, ne pouvait plus la voir,
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