La mort du Roi Arthur
admiré la prouesse de Lancelot qu’il le tenait pour le meilleur chevalier qu’il eût jamais rencontré. Cela dit, il ignorait toujours son identité.
Or, au bout d’un mois, il advint que la Demoiselle d’Escalot vint rendre visite à sa tante. À la nouvelle que le blessé n’était pas encore guéri, elle fut tout attristée et interrogea longuement son frère. « Ma sœur, répondit celui-ci, il se porte mieux, grâce à Dieu, mais j’ai vu le moment, voilà moins de quinze jours, où, désespérant qu’il en pût réchapper, je m’attendais sans cesse à sa mort. – Sa mort ! s’écria la jeune fille, que Dieu l’en préserve ! Ce serait assurément un grand malheur, car il n’a pas son pareil au monde. – Ma sœur, dit le chevalier, sais-tu donc qui il est ? – Oui, répondit-elle. C’est Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Bénoïc, le meilleur de tous les chevaliers de ce temps. Je le tiens de Gauvain, le propre neveu du roi Arthur. – Certes, reprit le chevalier, je le crois volontiers. Il ne peut s’agir que de lui, car jamais homme ne s’est si vaillamment battu, et jamais manche de dame ou de demoiselle n’a tant été mise à l’honneur ! »
La Demoiselle d’Escalot resta dans la maison de sa tante, en compagnie de son frère, jusqu’à ce que Lancelot eût recouvré suffisamment de santé pour se lever et reprendre une apparence d’activité. Et quand, quasiment guéri, il eut retrouvé sa prestance, la jeune fille, qui le veillait plus qu’à son tour, jour et nuit, conçut pour lui, tant en raison de la réputation qu’il s’était à juste titre acquise que de sa beauté physique qui la bouleversait, un amour si ardent qu’elle doutait pouvoir survivre s’il lui refusait ce qu’elle désirait de lui.
Désormais impuissante à déguiser ses sentiments, elle se présenta un jour devant lui après s’être parée de son mieux et habillée de sa plus jolie robe. Singulièrement belle et avenante en cet appareil, elle aborda donc Lancelot et lui dit : « Seigneur, réponds-moi sans hésiter : un chevalier qui m’éconduirait si je le requérais d’amour te semblerait-il odieux ? » Lancelot ne put s’empêcher de sourire. « Certes, demoiselle, dit-il enfin, s’il pouvait disposer librement de son cœur, il serait franchement odieux de te refuser. Mais si, ne pouvant disposer librement de lui-même, il te refusait son amour, nul ne saurait l’en blâmer. Je te l’affirme en ce qui me concerne : si tu daignais m’accorder ton cœur et qu’à l’instar de nombre d’autres chevaliers je pusse disposer de moi, je serais trop heureux de ton consentement, car je n’ai vu depuis longtemps dame ou demoiselle qui méritât mieux d’être aimée. »
Ce discours plongea la jeune fille dans une angoisse inexprimable. « Comment ? dit-elle. Dois-je comprendre que tu ne saurais disposer librement de ton cœur ? – En effet, demoiselle, répondit Lancelot, je n’en dispose pas puisqu’il est entièrement là où je veux qu’il soit, et je ne voudrais pas qu’il fût ailleurs. » La jeune fille contint ses pleurs. « Chevalier, dit-elle, tu m’en as assez dit pour me découvrir une partie de tes sentiments et m’affliger outre mesure, car cet aveu-là me fera bientôt mourir. Si tu me l’avais dit moins brutalement, mon cœur baignerait dans une langueur toute pleine d’espoir, et cet espoir m’aurait fait vivre dans la joie et la douceur. Mais hélas ! je vois trop bien que c’est sans ressource ! » Et la jeune fille sortit de la chambre, le visage inondé de larmes.
Elle alla sur-le-champ trouver son frère et, lui découvrant le fond de son âme, lui assura qu’elle aimait Lancelot d’un si grand amour qu’elle ne manquerait point d’en mourir si elle n’obtenait qu’il accédât à son désir. Profondément ému du désarroi de sa sœur, le chevalier se rendait bien compte que, dans cet état, elle ne pouvait guère entendre raison. Il lui dit cependant : « Ma chère sœur, il te faut porter tes ambitions ailleurs, car tu ne saurais prétendre à un homme comme lui. Il doit avoir le cœur trop haut placé pour s’abaisser jamais à aimer une pauvrette comme toi, si belle et sincère soit-elle. Si tu veux aimer, je te le répète, loge ton cœur ailleurs, car les fruits de cet arbre se trouvent trop hauts pour que tu les cueilles. Il est encore temps de changer, douce sœur. – Hélas ! il n’est plus temps, soupira-t-elle,
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