La mort du Roi Arthur
désir cet homme qu’elle aimait de tout son être. Tristan en éprouva grand trouble. Sa nature voulait se manifester, mais quelque chose de plus fort s’opposait à cet élan. Sachant sa femme aimable et belle, il aurait été trop heureux de la posséder, mais il abhorrait son propre désir car à l’image d’Yseult aux Blanches Mains se substituait celle de la reine de Cornouailles. « Amie, dit-il brusquement, il faut que je t’avoue un secret, mais je te prie de le conserver pour toi, afin que personne d’autre que nous ne puisse en avoir connaissance. Voici : j’ai une blessure au flanc droit qui me fait souffrir depuis bien longtemps. La douleur que j’en éprouve se répand parfois dans l’ensemble de mon corps, surtout lorsque j’ai accumulé veilles et fatigues. Alors, le moindre effort me met au bord de m’évanouir, et je suis obligé de rester alité plusieurs jours. Ce soir, cette blessure me torture abominablement. Aussi te demanderai-je de respecter mon repos. Nous aurons par la suite bien assez d’occasions de faire l’amour à ta guise et à la mienne.
— Certes, répondit Yseult, voilà qui est fâcheux. Ton mal m’inquiète plus que tout autre au monde. Mais, sois sans crainte, je ne dévoilerai ce secret à quiconque, et j’accepte bien volontiers de respecter ton repos. » Ainsi dormirent-ils cette nuit-là côte à côte, et il en fut de même les nuits suivantes, quelque chagrin qu’en éprouvât Yseult aux Blanches Mains, déçue dans ses espérances mais toute remplie du grand amour que lui inspirait Tristan {28} .
Cependant, la reine Yseult ne fut pas longue à apprendre le mariage de son amant. Un jour qu’elle se trouvait assise dans sa chambre, à composer une chanson d’amour triste, elle vit entrer Mariadoc, un homme puissant qui possédait de riches forteresses en Cornouailles et dans tout le royaume de Bretagne. Il était venu à la cour du roi Mark, à Tintagel, parce qu’il était depuis longtemps amoureux de la reine et qu’il espérait qu’elle finirait par répondre à ses vœux, quoiqu’elle lui eût nettement signifié sa répugnance et l’eût prié de s’abstenir de toute parole d’amour à son égard.
Mariadoc était un beau chevalier, mais dur et bouffi d’orgueil. Loin de célébrer sa valeur et ses prouesses, on le jugeait plutôt sévèrement, tant il avait la réputation de courir les femmes. S’avançant donc vers Yseult, il lui dit : « Reine, lorsqu’on entend crier le hibou il convient de penser à sa mort, car le cri du hibou signifie trépas. Et comme le chant que tu chantes me paraît triste et douloureux, certains doivent avoir perdu la vie. » La reine le regarda en face et répondit : « Certes, tu exprimes la vérité. J’espère bien que ce chant présage la mort. C’est un hibou assurément sinistre que l’homme qui veut affliger son prochain de sa propre douleur. Tu fais bien de redouter la mort, toi qui crains mon chant. Le hibou vole toujours lorsqu’il fait mauvais temps, et toi, seigneur Mariadoc, tu ne viens jamais que pour apporter de mauvaises nouvelles. Ainsi donc, cesse de feindre la compassion et dis-moi ce que tu veux m’apprendre.
— À quoi bon te mettre en colère, reine Yseult ? répondit Mariadoc. Peut-être suis-je un hibou mais, toi, tu ferais une belle chouette ! Quoi qu’il en soit de ma mort, je t’apporte en effet de pénibles nouvelles. Sache-le, tu as perdu ce Tristan que tu aimes, dit-on, car il s’est marié en pays étranger. Assurément, il t’a oubliée, puisqu’il a épousé une jeune fille de grande beauté, la fille du comte Hoël de Karahès. Aussi peux-tu, maintenant, chercher dans ton entourage un nouvel amant, car l’ancien t’a trahie, il a renié ton amour en t’abandonnant à ta grande douleur ! »
En entendant ces paroles, Yseult devint livide, mais bientôt la colère empourpra ses joues, et elle s’écria : « Avec tes moqueries et tes sarcasmes, Mariadoc, tu as toujours été un loup doublé d’un hibou. Ce n’est pas la première fois que tu t’arranges pour calomnier Tristan. Mais Dieu me damne si j’accède jamais à tes désirs insensés ! Aussi, sache-le, plus tu diras du mal de lui, plus je te haïrai. Maintenant, va-t’en hors de ma vue et laisse-moi en paix. Je t’interdis pour jamais de revenir me voir. Et prends garde que je ne dénonce tes paroles hypocrites au roi Mark lui-même ! »
Comprenant que mieux valait ne pas
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