La nuit de l'ile d'Aix
la frégate anglaise le Phœnix dont la figure de proue était une Andromède nue aux seins rongés de sel. Elle déployait ses voiles et arraisonnait sous les yeux du Foudroyant, le brick hollandais qui revenait de Sainte-Hélène.
... Sainte-Hélène...
— Si vous saviez, monsieur le préfet, je l’ai supplié de ne pas se livrer.
— Je sais, dit tristement M. de Bonnefous. C’est son entourage qui l’a perdu. Moi aussi j’ai fait tout mon possible pour le sauver. Maintenant il faut que je vous dise que l’Empereur m’avait remis deux caisses de vaisselle précieuse destinées à Mme Besson au cas où il se serait embarqué avec vous. Comme l’embarquement a échoué, j’ai dû les faire porter sur le Bellerophon... Vous avez revu Mme Besson ?
— Oh oui ! monsieur le préfet, la police l’a questionnée, humiliée, persécutée... Elle a fait front.
— Si vous me permettez un conseil, il faut quitter la Marine royale et vous expatrier, parce qu’aujourd’hui tout le monde sait le rôle que vous avez joué auprès de l’Empereur.
Besson se raidit :
— J’attendrai qu’on me jette dehors, monsieur.
Il n’eut pas à attendre très longtemps. Révoqué et traqué, il est obligé de quitter la France. Il se retire au Danemark chez son beau-père avant de s’embarquer pour l’Égypte. N’ayant pu conduire Napoléon à la reconquête de l’Amérique, il va procéder à sa propre reconquête et reprendre le chemin de l’Empereur « en Orient ». Il refait de l’Égypte une puissance maritime. Mehemet Ali le nomme amiral de sa flotte. Et lorsque Besson Bey meurt en 1837 il remet à son ami Pusker-Mucklau le récit de l’évasion manquée. C’est de ce récit que nous avons tiré la relation des dernières journées de l’Empereur à Rochefort et à l’île d’Aix.
Il ne reste de l’aventure avortée de Jean Victor Besson qu’une avenue des faubourgs d’Angoulême. Le boulevard Besson-Bey. Les bulldozers ont nivelé la maison natale de l’enfant accroupi devant le ruisseau qui lançait ses balancelles vers la mer en rêvant d’Amérique...
Le commandant Philibert, promu capitaine de vaisseau de Ire classe, est décoré de la rosette de la Légion d’honneur. S’il n’avait écouté que son honneur, Napoléon forçait le blocus. Il a préféré la rosette, ce qui a puissamment contribué à mener Napoléon à Sainte-Hélène.
Le général Beker a étouffé quelques sanglots en regardant s’éloigner le canot vers le Bellerophon. De retour à Paris il a séché ses larmes pour rédiger un mémoire circonstancié sur la manière décisive dont il avait mené sa mission jusqu’à son terme. Beker s’est donné les gants d’une fidélité à la monarchie qu’il avait pratiquement oubliée pendant les semaines brûlantes de Rochefort. Toute peine mérite salaire. Beker au nom de sa « loyauté » à Louis XVIII, recevra le grand cordon de la Légion d’honneur. « C’est moi qui ai embarqué Bonaparte... » Charles X le fera pair de France et chevalier de Saint Louis. Et c’est Louis-Philippe qui lui accrochera la commanderie tant désirée.
Sa cravate libère sa conscience. Il écrit alors cette relation, plus conforme à son rôle et qui dément son rapport initial. Nous avons utilisé de larges extraits de ce récit. Paix à ses cendres.
Révoqué de ses fonctions et rayé des cadres de la Marine, le préfet Bonnefous, transfuge ébloui, fasciné par Napoléon et qui, à ses risques et périls, a su prendre ses responsabilités pour changer le cours de la onzième heure. Finalement admis à la retraite, il se retire dans ses terres auprès de Marmande où il mourra en attisant la cendre de ces dix jours de feu qui avaient incendié son destin.
En demi-solde, le capitaine Coudein du 14 e de Marine dont les soldats s’étaient proposés pour défendre l’Empereur.
À la retraite, le général Alméiras, le grenadier des Pyramides, et qui mettait son régiment à la disposition de l’usurpateur.
Cassé, le commandant Jourdan de La Passardière qui avait rêvé d’un combat naval.
Dégradé, le capitaine Ponée (dénoncé par Philibert) qui voulait éperonner le Bellerophon. Cette disgrâce lui évita de se trouver sur son bateau quand la Méduse ira s’échouer un an plus tard sur le banc d’Arguin. Elle survivra jusqu’à la fin des temps à travers les chansons, les tableaux ou les romans.
Rayés des cadres et jetés en prison les
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