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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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inimaginable, monsieur le baron. Le commandant Philibert n’y comprend rien. Moi non plus. Il avait déjà quitté la Saale...
    —  Alors il est à l’île d’Aix   ?
    —  Non, il a quitté l’île d’Aix.
    —  Mais où est-il   ? gémit le préfet Richard, où est-il   ?
    —  Sur l’Épervier. Il fait voile vers les navires anglais, nous ne pouvons plus l’arrêter.
    —  Ah   ! mon Dieu, mon Dieu... Que va dire le roi   ! Que va dire M. Fouché   ! Et comme Bonnefous garde un silence affligé. —  Et vous ? Répondez-moi quelque chose.
    —  Je vous répondrai, monsieur le baron, par le proverbe antique   : À quelque chose malheur est bon.
    —  Je n’ai pas la tête aux charades.
    M. de Bonnefous pose son chandelier et éclaire sa pensée.
    —  Imaginez, monsieur le baron, que je vous ramène l’usurpateur. Et que M. de Rigny lui passe les fers aux mains et aux pieds.
    —  Nous n’irons pas jusque-là, proteste mollement M. Richard.
    —  ... et qu’il traverse la France en fourgon cellulaire. Vous pensez sérieusement que cette voiture arrivera à Paris   ? Vous allez vous heurter à un barrage de cinquante mille hommes. Prêts à mourir. Et pour qui Napoléon représente encore une sorte de divinité. Et même, imaginons que vous franchissiez l’obstacle infranchissable de l’armée de la Loire. Vous arrivez à Paris. Vous organisez le procès. C’est le procès du siècle. Ce n’est pas seulement le procès de l’Empereur, c’est celui de la Révolution. Vous ne pouvez pas faire moins que de le condamner à mort   ! Et de le faire exécuter. Alors que vous savez comme moi que le tsar, l’empereur d’Autriche et Wellington seront irréductiblement opposés à cette exécution. Et le faire exécuter, c’est le retour aux sources de la Révolution. C’est le pays livré à une guerre civile dont ni vous ni moi ne pouvons prévoir le vainqueur. Mais à coup sûr nous pouvons déjà prévoir le vaincu.
    —  Lequel   ?
    —  La France, monsieur le baron. Et savez-vous ce que vient de déclarer un ministre anglais   ? « Le roi de France ne me semble pas assez fort pour le livrer à la justice comme rebelle. »
    —  Les Anglais ont dit ça   ?
    —  Oui, monsieur le baron.
    Le baron Richard cherche une échappée, une porte de sortie, il ne trouve pas.
    —  Vous avez peut-être raison, monsieur le préfet, ce chemin de la mer...
    —  C’est sans doute la voie de la Providence, enchaîne Bonnefous.
    Neiges incandescentes, pailles roses et lueurs sulfureuses.
    L’aube point sur l’Anse {98} . Sur les chaloupes balancées par les meutes et les meules de la marée montante, les dix garçons avaient veillé toute la nuit {99} .
    Ils s’étaient relayés, l’arme au poing, l’œil aux aguets, le cœur battant, tournés vers les marais langés de brouillard, épiant les courants sous-marins où ballottaient des voies lactées.
    Et la nuit du temps tombait si lentement du sablier des étoiles qu’il leur semblait être agglutinés à cette côte de vasières et de trémies depuis... ils ne savaient plus. Le rêve avait bloqué le compte des heures. Autour d’eux les suies et les suints de la nuit. L’aiguail de la nuit, la rosée des vagues, l’haleine des brouillards, toute cette manne visqueuse qui leur colle à la peau, perle à leurs vareuses morfondues, leur poisse les cheveux, leur transit le cœur. Les cris aveugles des effraies, l’appel d’une macreuse sur le rivage, l’odeur trouble et entêtée des eaux croupies, une odeur de femme, de varech et de lin pourrissant. Un feu lointain s’allumait sur la côte, comme si les naufrageurs avaient voulu attirer la Zélie et les Deux-Amis vers les marais salants.
    —  Mais qu’est-ce qu’ils fabriquent   ? grognait Peltier.
    —  L’Empereur s’est peut-être ravisé, dit Saliz.
    Genty grondait   :
    —  Impossible, je me suis battu trois ans avec lui, l’Empereur n’a qu’une parole.
    —  Mais alors quoi   ?
    —  Ils ont peut-être changé d’avis.
    —  Comment ça   ?
    —  Ils ne passent peut-être plus par Les Sables et Ouessant.
    —  Et par où alors   ?
    —  Par la Gironde.
    —  Impossible, le capitaine Besson m’a dit hier soir que c’était le meilleur itinéraire. Le plus sûr et le plus rapide.
    La chape de silence et de brume s’accrochait à leurs épaules. Un coup de feu les fit sursauter.
    —  Vous avez entendu   ! dit Moncousu.
    —  Oui, des

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