La parfaite Lumiere
mon lot d’errer à travers le
pays pour essayer de réaliser une grande espérance. Impossible de savoir si je
serai tuée par mon ennemi juré, ou si je mourrai de maladie au bord de la
route. Si tel est mon destin, je demande aux autorités et aux personnes de
bonne volonté d’employer l’argent contenu dans cette bourse à rapatrier mon
corps. Sugi, veuve de Hon’iden, village de Yoshino, province de
Mimasaka. » Avec son épée bien en place, ses tibias enveloppés de guêtres
blanches, des mitaines aux mains et une obi au point aveugle maintenant
confortablement en place son kimono sans manches, ses préparatifs étaient
presque achevés. Elle disposa un bol d’eau sur sa table à écrire, s’agenouilla
devant :
— Maintenant, je pars.
Alors, elle ferma les yeux et,
immobile, adressa ses pensées à l’oncle Gon. Jūrō entrebâilla le
shoji et jeta un coup d’œil à l’intérieur.
— Vous êtes prête ?
demanda-t-il. Il va être temps de partir. Kojirō nous attend.
— Je suis prête.
Rejoignant les autres, elle se
rendit à la place d’honneur qu’ils avaient laissée vacante pour elle, devant
l’alcôve. L’Acolyte prit une coupe sur la table, la mit dans la main d’Osugi,
et lui versa soigneusement une rasade de saké. Ensuite, il fit de même pour
Kojirō et Jūrō. Quand chacun des quatre eut bu, ils éteignirent
la lampe et se mirent en route.
Un assez grand nombre des hommes
de Hangawara réclamèrent qu’on les emmenât, mais Kojirō refusa : un
groupe nombreux non seulement attirerait l’attention mais les gênerait au
combat.
Comme ils franchissaient le
portail, un jeune homme leur cria d’attendre. Alors, il fit des étincelles en
frappant un silex afin de leur porter chance. Dehors, sous un ciel assombri par
des nuages de pluie, des rossignols chantaient.
Tandis qu’ils cheminaient à
travers les rues sombres et silencieuses, des chiens se mirent à aboyer,
sentant peut-être par instinct que ces quatre êtres humains accomplissaient une
mission sinistre.
— Qu’est-ce que c’est que
ça ? demanda Koroku en regardant en arrière au long d’une étroite allée.
— Tu as vu quelque
chose ?
— Quelqu’un nous suit.
— Sans doute un des gars de
la maison, dit Kojirō. Ils tenaient tous tellement à nous
accompagner !
— Ils préfèrent se bagarrer à
manger.
Ils tournèrent un angle, et
Kojirō s’arrêta sous l’auvent d’une maison, disant :
— La boutique de Kōsuke
est bien par ici ?
Leurs voix se réduisirent à des
chuchotements.
— Dans la rue, là, de l’autre
côté.
— Qu’est-ce que nous faisons,
maintenant ? demanda Koroku.
— Nous procédons comme nous
l’avons combiné. Vous trois, vous vous cachez dans l’ombre. Moi, je vais à la
boutique.
— Et si Musashi essaie de
filer par la porte de derrière ?...
— Ne t’inquiète pas. Il ne
risque pas plus de me fuir que moi de le fuir. S’il fuyait, sa carrière d’homme
d’épée serait finie.
— Peut-être que nous devrions
tout de même nous poster des deux côtés de la maison... à tout hasard.
— Soit. Et maintenant, comme
nous en sommes convenus, je vais amener Musashi dehors et me promener avec lui.
Quand nous approcherons d’Osugi, je dégainerai et le prendrai par surprise. Ce
sera le moment pour elle de venir le frapper.
Osugi était transportée de
gratitude :
— Merci, Kojirō. Vous
êtes si bon pour moi ! Vous devez être une incarnation du grand Hachiman.
Elle joignit les mains et
s’inclina comme devant le dieu de la guerre en personne. En son âme et
conscience, Kojirō avait la ferme conviction de faire ce qu’il fallait
faire. Il est même douteux que des mortels ordinaires puissent imaginer toute
l’ampleur de son contentement de soi au moment où il monta jusqu’à la porte de Kōsuke.
Au début, quand Musashi et
Kojirō étaient tout jeunes, pleins d’énergie et brûlant de prouver leur
supériorité, il n’existait pas entre eux de cause profonde d’inimitié. Il y
avait eu de la rivalité, certes, mais seulement les frictions qui naissent de
façon normale entre deux combattants forts et presque égaux. Ce qui par la
suite avait ulcéré Kojirō, ç’avait été de voir Musashi devenir peu à peu
un homme d’épée célèbre. Musashi, quant à lui, respectait l’extraordinaire
habileté de Kojirō sinon son caractère, et le traitait toujours avec une
certaine circonspection. Mais avec les années, ils
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