La parfaite Lumiere
se brouillèrent pour
diverses raisons : la Maison de Yoshioka, le sort d’Akemi, l’affaire de la
douairière Hon’iden. Désormais, la réconciliation n’était plus possible.
Et maintenant que Kojirō
avait pris sur soi de se faire le protecteur d’Osugi, le cours des événements
portait clairement le sceau du destin. Kojirō frappa discrètement à la
porte.
— Kōsuke !
Etes-vous éveillé ?
De la lumière filtrait à travers
une fente, mais il n’y avait pas d’autre signe de vie à l’intérieur. Au bout de
quelques instants, une voix demanda :
— Qui est là ?
— Iwama Kakubei vous a donné
mon épée à réparer. Je viens la chercher.
— La grande épée longue...
c’est bien celle-là ?
— Ouvrez-moi.
— Un instant.
La porte glissa, et les deux
hommes s’observèrent. Bouchant l’entrée, Kōsuke dit sèchement :
— L’épée n’est pas encore
prête.
— Je vois.
Kojirō passa devant Kōsuke
et s’assit sur la marche qui montait à la boutique.
— ... Quand sera-t-elle
prête ?
— Eh bien, voyons...
Kōsuke se frottait le menton
en abaissant les coins de ses yeux, ce qui faisait paraître encore plus longue
sa longue figure. Kojirō avait le sentiment que l’on se moquait de lui.
— Vous ne trouvez pas que ça
prend beaucoup de temps ?
— J’ai dit très nettement à
Kakubei que je ne pouvais lui promettre quand j’aurais terminé.
— Je ne pourrai m’en passer
encore bien longtemps.
— Dans ce cas, reprenez-la.
— Quoi ?
Kojirō était stupéfait. Les
artisans ne parlaient pas sur ce ton aux samouraïs. Mais au lieu d’essayer de
découvrir ce qui se cachait derrière l’attitude de cet homme, il en conclut que
l’on s’attendait à sa visite. Il crut bon d’agir vite, et dit :
— ... Pendant que j’y pense,
j’ai appris que Miyamoto Musashi, du Mimasaka, séjournait ici, chez vous.
— Où donc avez-vous appris
ça ? demanda Kōsuke, l’air inquiet. En effet, il habite avec nous.
— Ça ne vous ennuierait pas
de l’appeler ? Je ne l’ai pas vu depuis longtemps, depuis que nous
étions l’un et l’autre à Kyoto.
— Comment vous
appelez-vous ?
— Sasaki Kojirō. Il
saura qui je suis.
— Je vais lui dire que vous
êtes là, mais je ne sais pas s’il pourra vous recevoir.
— Rien qu’un instant.
— Vraiment ?
— Peut-être que je ferais
mieux de m’expliquer. J’ai appris par hasard, chez le seigneur Hosokawa, qu’un
homme de la description de Musashi logeait ici. Je suis venu avec l’idée
d’inviter Musashi à sortir boire un peu en bavardant.
— Je vois.
Kōsuke fit demi-tour et se
dirigea vers le fond de la maison. Kojirō se demandait ce qu’il ferait si
Musashi flairait le piège et refusait de le recevoir. Deux ou trois stratagèmes
se présentèrent à son esprit ; mais avant qu’il eût pris une décision, un
épouvantable hurlement le fit sursauter.
Il se leva d’un bond comme un
homme qui reçoit un coup de pied sauvage. Il avait commis une faute de calcul.
Sa stratégie avait été percée à jour – non seulement percée à jour,
mais retournée contre lui. Musashi devait être sorti à la dérobée par la porte
de derrière, avoir contourné la maison jusqu’à la façade, et attaqué. Mais qui
donc avait crié ? Osugi ? Jūrō ? Koroku ?
« S’il en est ainsi... »
se dit sombrement Kojirō en gagnant la rue au pas de course. Muscles
tendus, cœur battant, en un instant il fut prêt à tout. « De toute
manière, il me faudra le combattre tôt ou tard », se dit-il. Il le savait
depuis la rencontre au col du mont Hiei. L’heure avait sonné ! Si Osugi
avait déjà été frappée à mort, Kojirō se jurait que le sang de Musashi
servirait d’offrande pour l’éternelle paix de son âme.
Il avait parcouru une dizaine de
pas lorsqu’il entendit crier son nom au bord de la route. La voix douloureuse
semblait s’accrocher à ses pas.
— C’est toi, Koroku ?
— J’-j’-j’ai é-été
fra-fra-frappé.
— Et Jūrō ! Où
est Jūrō ?
— L-lui aussi.
— Où est-il ?
Avant que la réponse ne vînt,
Kojirō distingua la forme ensanglantée de Jūrō, à une dizaine de
mètres. Le corps entier aux aguets, il tonna :
— ... Koroku ! De quel
côté est parti Musashi ?
— Non... pas... Musashi.
Koroku, incapable de lever la
tête, la roulait d’un côté puis de l’autre.
— Qu’est-ce que tu
racontes ? Tu
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