La parfaite Lumiere
partout. Pendus à des clous : des serviettes de
toilette, des kimonos, des sous-vêtements, des casques à incendie et autres
articles nécessaires à une bande de vauriens. Deux objets incongrus : un
kimono de femme, de couleurs vives, doublé de soie rouge ; le miroir en
pied laqué or sur lequel il était pendu. On les avait placés là sur les
instructions de Kojirō, lequel avait expliqué à Yajibei, non sans quelque
mystère, que si un groupe d’hommes vivaient ensemble dans une chambre sans la
moindre touche féminine, ils risquaient de sortir de leurs gonds et de se
battre entre eux, au lieu d’économiser leur énergie pour des batailles utiles.
— Tu triches, espèce de
salaud !
— Personne ne triche !
T’es dingue.
Jūrō jeta aux joueurs un
regard dédaigneux, et s’étendit les jambes confortablement croisées. Dans tout
ce vacarme, il était hors de question de dormir ; mais il n’allait pas
s’abaisser à prendre part à l’un des jeux de cartes ou de dés. Comme il fermait
les yeux, il entendit une voix lamentable dire :
— Pas la peine,
aujourd’hui : pas la moindre veine.
Le perdant, avec les yeux tristes
des vaincus, laissa tomber par terre un oreiller, et s’étendit à côté de Jūrō.
Un autre les imita, puis un autre et encore un autre.
— Qu’est-ce que c’est que
ça ? demanda l’un d’eux en tendant la main vers la feuille de papier
tombée du kimono de Jūrō. Eh bien, Dieu me pardonne... c’est un
sutra. Ça, alors ! Pourquoi donc un sale individu comme toi
transporte-t-il un sutra ?
Jūrō souleva une
paupière endormie, et répondit paresseusement :
— Ah ! ça ? C’est
quelque chose que la vieille a copié. Elle dit qu’elle a juré d’en faire un
millier.
— Fais voir, dit un autre en
tendant la main. Qu’est-ce que tu me racontes ? C’est clair comme de l’eau
de roche. Un enfant pourrait le lire.
— Veux-tu dire par là que
toi, tu pourrais le lire ?
— Bien sûr. C’est un jeu
d’enfant.
— Très bien, alors,
lis-nous-en un peu. Mets-y un ton agréable. Chante-le comme un prêtre.
— Tu veux rire ? Ça
n’est pas une chanson populaire.
— Quelle importance ?
Jadis, on chantait les sutras. C’est l’origine des hymnes bouddhistes. Tu sais
reconnaître un hymne en l’entendant, non ?
— On ne peut chanter ces
paroles sur la musique d’un hymne.
— Alors, improvise.
— Chante, toi, Jūrō.
Encouragé par l’enthousiasme des
autres, Jūrō, toujours couché sur le dos, ouvrit le sutra et
commença :
« Le Sutra sur le grand
amour des parents.
Voici ce que j’ai appris.
Un jour que le Bouddha se
trouvait sur le pic des Vautours
[sacrés,
Dans la Cité des palais royaux,
En train de prêcher à des
bodhisattva et à des disciples,
Il se rassembla une multitude de
moines, de nonnes et de
[simples
fidèles des deux sexes,
Tous les habitants de tous les
cieux, dieux-dragons et
[démons,
Pour entendre la Loi sacrée.
Autour du trône orné de pierreries,
ils se rassemblèrent
Et contemplèrent fixement
La sainte face... »
— Qu’est-ce que tout ça veut
dire ?
— Quand ça parle de
« nonnes », est-ce qu’il s’agit des filles que nous surnommons
nonnes ? Vous savez, on m’a dit que certaines des « nonnes » de
Yoshiwara se sont mises à se poudrer la figure en gris, et prennent moins cher
que dans les bordels...
— La ferme !
« Alors, le Bouddha
Prêcha la Loi comme suit :
— Vous tous, braves hommes et braves femmes,
Reconnaissez votre dette envers
la compassion de votre
[père,
Reconnaissez votre dette envers
la miséricorde de votre
[mère.
Car la vie d’un être humain, en
ce monde,
A le karma pour cause fondamentale,
Mais les parents pour immédiate
origine. »
— Ça veut dire uniquement
qu’il faut être gentil avec sa maman et son papa. On a déjà entendu ça des
millions de fois.
— Chut !
— Chante encore. Nous nous
tairons.
« Sans père, l’enfant n’est
pas conçu.
Sans mère, l’enfant n’est pas
nourri.
L’esprit vient de la semence du
père ;
Le corps se développe au sein de
la mère. »
Jūrō s’arrêta pour
changer de position et se décrotter le nez, puis reprit :
« A cause de ces relations,
Le souci de la mère pour son
enfant
Est sans comparaison en ce
monde... »
Remarquant le silence des autres, Jūrō
leur demanda :
— Vous
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