La parfaite Lumiere
n’importe quand. Sasaki
Kojirō ne joue pas à cache-cache.
— Je te tuerai.
— Vas-y ; essaie.
Tout en le regardant s’approcher – douze,
onze, dix pieds –, Kojirō desserra tranquillement la partie
supérieure de son kimono, et posa la main droite sur son sabre.
— ... Allons !
cria-t-il.
Ce défi provoqua chez Shinzō
un instant d’involontaire hésitation. Le corps de Kojirō fléchit en
avant ; son bras se détendit comme un arc ; il y eut un bruit
métallique. L’instant suivant, son sabre réintégrait son fourreau d’un coup
sec. Il n’y avait eu qu’un mince éclair.
Shinzō restait debout, jambes
écartées. Pas trace de sang, encore ; pourtant, il était clair qu’il avait
été blessé. Bien que son sabre fût toujours tendu à hauteur de l’œil, il avait
eu le réflexe de porter la main gauche à son cou.
— Oh !
Des halètements s’élevèrent des deux
côtés de Shinzō simultanément ; ils émanaient de Kojirō et d’un
homme arrivé en courant derrière Shinzō. Le bruit de pas et la voix
envoyèrent Kojirō dans les ténèbres.
— Qu’est-il arrivé ?
criait Kōsuke, le bras tendu pour soutenir Shinzō, et qui reçut tout
le poids de son corps. Oh ! voilà qui m’a l’air d’une sale histoire !
Au secours ! Au secours, quelqu’un !
Un morceau de chair, pas plus gros
qu’une coque de palourde, tomba du cou de Shinzō. Le sang qui en jaillit
inonda d’abord le bras de Shinzō puis les pans de son kimono jusqu’à ses
pieds.
Un bloc de bois
Clac. Une autre prune verte tomba
de l’arbre dans le jardin sombre, au-dehors. Musashi n’en tint pas compte, si
même il l’entendit. A la lumière vive, mais vacillante de la lampe, ses cheveux
embroussaillés paraissaient hérissés, secs et rougeâtres.
« Quel enfant
difficile ! » avait souvent gémi sa mère. Ce caractère têtu qui
l’avait si fréquemment fait pleurer subsistait chez lui, aussi durable que la
cicatrice laissée sur sa tête, dans son enfance, par un gros furoncle.
Des souvenirs de sa mère, à ce
moment, lui traversaient l’esprit ; parfois, le visage qu’il sculptait
ressemblait beaucoup au sien. Quelques minutes auparavant, Kōsuke était
venu à la porte, avait hésité et appelé :
— Vous travaillez encore ?
un homme du nom de Sasaki Kojirō dit qu’il voudrait vous voir. Il attend
en bas. Voulez-vous le recevoir, ou lui dirai-je que vous êtes déjà
couché ?
Musashi avait la vague impression
que Kōsuke avait répété son message, mais n’était pas certain d’avoir
lui-même répondu.
La petite table, les genoux de
Musashi et le sol, dans ses environs immédiats, étaient jonchés de copeaux de
bois. Il essayait de terminer l’image de Kannon qu’il avait promise à Kōsuke
en échange du sabre. Sa tâche avait été rendue encore plus difficile en raison
d’une requête spéciale de Kōsuke, homme aux goûts et aux dégoûts accusés.
Quand Kōsuke avait tiré d’une armoire le bloc de vingt-cinq centimètres
pour le lui tendre très doucement, Musashi avait constaté qu’il devait avoir
six ou sept cents ans. Kōsuke le traitait comme un bien de famille, car il
provenait d’un temple du VIII e siècle édifié sur le tombeau du prince Shōtoku à Shinaga.
— J’étais en voyage là-bas,
expliqua-t-il, et l’on réparait les vieux bâtiments. Des imbéciles de prêtres
et de charpentiers débitaient à la hache les vieilles poutres pour en faire du
bois de chauffage. Je n’ai pu supporter de les voir ainsi gâcher ce bois ;
aussi leur ai-je fait couper ce bloc à mon intention.
Le grain était bon, et le bois se
présentait bien sous le couteau ; pourtant, la valeur attribuée par Kōsuke
à son trésor rendait Musashi nerveux. S’il commettait une faute, il gâcherait
un matériau irremplaçable.
Il entendit cogner comme si le
vent avait ouvert le portail, dans la haie du jardin. Levant les yeux de son
ouvrage, pour la première fois depuis qu’il s’était mis à sculpter, il se
dit : « C’est peut-être Iori » et pencha la tête dans l’attente
d’une confirmation.
— Pourquoi restes-tu plantée
là comme une borne ? cria Kōsuke à sa femme. Tu ne vois donc pas que
cet homme est grièvement blessé ? Peu importe la chambre !...
Derrière Kōsuke, les hommes
qui transportaient Shinzō, tout excités, offraient leurs services :
— Vous avez de l’alcool pour
laver la blessure ? Sinon,
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