La parfaite Lumiere
m’a donné le nom de Miyamoto Musashi. Je n’ai pas de
parents proches, et j’ai consacré ma vie à la Voie du sabre. Si je devais
tomber sous votre bâton, inutile de vous soucier de mes restes.
Reprenant sa posture, il
cria :
— ... En garde !
— En garde !
La vieille femme semblait à peine
respirer. Loin que le péril eût fondu sur elle et son fils, elle s’était
dérangée pour le chercher, exposant délibérément son fils au sabre étincelant
de Musashi. Pareille conduite eût été inimaginable pour une mère ordinaire,
mais elle était convaincue que c’était la seule chose à faire. Maintenant, elle
se tenait assise de façon protocolaire, les épaules un peu voûtées, les mains
disposées comme il fallait sur ses genoux, l’une sur l’autre. Son corps
paraissait petit, ratatiné ; l’on aurait eu peine à croire qu’elle avait
mis plusieurs enfants au monde, qu’elle les avait tous enterrés sauf un, et
qu’elle s’était obstinée, à travers d’innombrables difficultés, à faire un
guerrier du seul survivant.
Ses yeux brillaient comme si tous
les dieux et bodhisattva de l’univers s’étaient rassemblés dans sa personne en
vue d’assister au combat.
A l’instant où Musashi dégaina, Gonnosuke
sentit un frisson lui parcourir le corps. Il sentait instinctivement que son
sort, exposé au sabre de Musashi, était déjà décidé car à ce moment il voyait
devant lui un homme qu’il n’avait pas vu auparavant. L’avant-veille, il avait
observé Musashi dans une humeur fluide, flexible, une humeur que l’on pourrait
assimiler aux lignes souples, coulantes, de la calligraphie en style cursif.
Il ne s’attendait pas à l’homme
qu’il avait en face de lui maintenant, un modèle d’austérité pareil à un
caractère carré, écrit sans bavure avec chaque ligne et chaque point bien en
place.
Se rendant compte qu’il avait mal
jugé son adversaire, il se trouvait incapable de se lancer dans un violent
assaut comme auparavant. Son bâton restait brandi mais impuissant au-dessus de
sa tête.
Tandis que les deux hommes
s’affrontaient en silence, les dernières brumes du matin se dissipaient. Un
oiseau vola paresseusement entre eux et la montagne imprécise, au loin. Puis,
tout à coup, un cri aigu déchira l’air, comme si l’oiseau était tombé droit au
sol. Impossible de savoir si ce son provenait du sabre ou du bâton. Il était
irréel : le claquement d’une seule main dont parlent les adeptes du Zen.
Simultanément, les corps des deux
combattants, se mouvant en parfaite coordination avec leurs armes, changèrent
de position. Ce changement prit moins de temps qu’il n’en faut à une image pour
être transmise de l’œil au cerveau. Gonnosuke avait manqué son coup. Musashi,
sur la défensive, avait relevé l’avant-bras du flanc de Gonnosuke en un point
situé au-dessus de sa tête, manquant de peu son épaule et sa tempe droites. Musashi
recourait alors à son magistral choc en retour, celui qui avait précédemment
fait échouer tous ses adversaires ; mais Gonnosuke, empoignant à deux
mains son bâton près des extrémités, arrêta le sabre au-dessus de sa propre
tête.
Si le sabre n’avait pas rencontré
le bois obliquement, l’arme de Gonnosuke aurait à coup sûr été fendue en deux.
En changeant de position, il avait avancé le coude gauche et levé le droit dans
l’intention de frapper Musashi au plexus solaire ; mais à ce qui aurait dû
être l’instant de l’impact, le bout du bâton se trouvait encore à quelques
millimètres du corps de Musashi.
Sabre et bâton croisés au-dessus
de la tête de Gonnosuke, aucun des deux adversaires ne pouvait avancer ni
reculer. Tous deux savaient qu’un faux mouvement signifiait la mort brutale.
Bien que la position fût analogue à une impasse sabre contre sabre, Musashi
était conscient des importantes différences entre sabre et bâton. Il saute aux
yeux qu’un bâton n’a ni garde, ni lame, ni poignée, ni pointe. Pourtant, aux
mains d’un spécialiste tel que Gonnosuke, n’importe quelle partie de l’arme de
quatre pieds pouvait devenir lame, pointe ou poignée. Le bâton était donc
beaucoup plus universel que le sabre, et pouvait même servir de courte lance.
Dans l’incapacité de prévoir la
réaction de Gonnosuke, Musashi ne pouvait retirer son arme. Mais Gonnosuke se
trouvait dans une situation plus périlleuse encore : son arme jouait le
rôle passif consistant à
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