La parfaite Lumiere
Alors,
mettez-vous à l’aise pendant que je prends le mien. Je ne serai pas long.
Il ôta ses vêtements de voyage,
prit une serviette et quitta la chambre. Bien que cet homme eût des manières
avenantes, la tête de Musashi fourmillait de questions. Pourquoi ce guerrier de
haut rang le recherchait-il ? Pourquoi se montrait-il aussi cordial ?
— Ne voulez-vous pas mettre
des vêtements plus confortables ? demanda la servante en lui présentant
l’un des kimonos rembourrés de coton que l’on fournissait aux clients.
— Non, merci. Je ne suis pas
certain de rester.
Musashi sortit sur la véranda.
Derrière lui, il entendait la servante disposer doucement les plateaux du
dîner. Tout en regardant les rides du lac passer de l’indigo profond au noir,
l’image des yeux tristes d’Otsū se forma dans son esprit. « Je
suppose que je ne cherche pas au bon endroit, pensa-t-il. Quiconque est assez
mauvais pour enlever une femme a sûrement l’instinct d’éviter les
villes. » Il avait l’impression d’entendre Otsū appeler au secours.
Etait-il vraiment juste d’adopter le point de vue philosophique voulant que
tous les événements résultent de la volonté du Ciel ? Debout là, à ne rien
faire, il éprouvait du remords.
De retour de son bain, Ishimoda
Geki s’excusa de l’avoir laissé seul et s’assit devant le plateau de son dîner.
S’apercevant que Musashi portait encore son propre kimono, il demanda :
— Pourquoi ne vous
changez-vous pas ?
— Je me sens bien dans les
vêtements que je porte. Je les porte tout le temps : sur la route, à la
maison, quand je dors par terre, sous les arbres.
Geki fut impressionné
favorablement.
— J’aurais dû m’en douter,
dit-il. Vous voulez être prêt pour agir à tout moment, où que vous soyez. Le
seigneur Date admirerait cela.
Il contemplait avec une
fascination non dissimulée le visage de Musashi, éclairé de côté par la lampe.
Revenant à lui au bout d’un moment, il dit :
— ... Venez. Asseyez-vous et
prenez un peu de saké.
Il rinça une coupe dans une cuve
d’eau, et l’offrit à Musashi. Ce dernier s’assit et s’inclina. Les mains posées
sur les genoux, il demanda :
— Pourriez-vous me dire,
monsieur, pourquoi vous me traitez de manière aussi amicale ? Et, si vous
n’y voyez pas d’inconvénient, pourquoi vous vous renseigniez sur moi, là-bas,
sur la grand-route ?
— Votre surprise n’est que
toute naturelle, mais en vérité, il n’y a pas grand-chose à expliquer. La façon
la plus simple d’exprimer la chose est peut-être de dire que j’ai pour vous une
sorte de penchant.
Il s’arrêta un instant, rit et
reprit :
— ... Oui, c’est une question
d’engouement, une histoire d’homme attiré par un autre homme.
Geki semblait juger que cette
explication suffisait, mais Musashi était plus perplexe que jamais. Bien qu’il
ne parût pas impossible qu’un homme s’entichât d’un autre, lui-même n’avait
jamais ressenti pareil attachement. Takuan était trop sévère pour inspirer une
affection puissante. Kōetsu vivait dans un monde entièrement différent.
Sekishūsai occupait un plan tellement supérieur à celui de Musashi que
l’aimer était tout aussi inconcevable que ne pas l’aimer. Bien qu’il s’agît
peut-être chez Geki d’une façon de le flatter, un homme qui faisait de
pareilles déclarations s’exposait à l’accusation d’insincérité. Musashi doutait
pourtant que ce samouraï fût un flagorneur ; il était pour cela trop
solide, trop viril d’aspect.
— Qu’entendez-vous au juste,
demanda Musashi d’un ton sérieux, en disant que vous êtes attiré vers
moi ?
— Peut-être suis-je
présomptueux, mais dès l’instant où j’ai entendu parler de votre exploit d’Ichijōji,
j’ai eu la conviction que vous étiez un homme que j’aimerais, que j’aimerais
beaucoup.
— Vous étiez à Kyoto, à ce
moment-là ?
— Oui ; j’étais arrivé
durant le premier mois de l’année, et séjournais à la résidence du seigneur
Date, avenue Sanjō. Comme je faisais une petite visite au seigneur
Karasumaru Mitsuhiro, le lendemain du combat, j’ai beaucoup entendu parler de
vous. Il a dit vous avoir rencontré ; il a parlé de votre jeunesse et de
ce que vous aviez fait dans le passé. Comme j’éprouvais l’attrait puissant que
j’ai dit, j’ai résolu de m’efforcer de vous rencontrer. A mon départ de Kyoto,
j’ai vu le message que
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