La parfaite Lumiere
moindre retard risque d’attirer le
désastre non seulement sur toi mais sur ton père et sur ton maître. Pars aussi
loin que possible, mais sans t’approcher de la grand-route de Kōshū
ni du Nakasendō. Aujourd’hui, dès midi, l’on surveillera de près tous les
voyageurs.
— Que va-t-il arriver à Sensei ?
Je ne puis partir en le laissant où il est.
— Remets-t’en à moi. Dans un
an ou deux, quand les choses se seront tassées, tu pourras l’aller voir pour
lui présenter tes excuses.
— Adieu.
— Un instant.
— Oui ?
— Va d’abord à Edo. A Azabu,
il y a un temple zen appelé Shōjuan. Ton père devrait y être, à l’heure
qu’il est. Prends ce sceau que j’ai reçu du Daitokuji. Ils sauront qu’il est à
moi. Fais-toi donner par eux, ainsi qu’à ton père, des chapeaux et des habits
de prêtre, et les papiers nécessaires. Alors, vous pourrez voyager sous ce
déguisement.
— Pourquoi dois-je faire
semblant d’être prêtre ?
— Ta naïveté est donc sans
limite ? Toi que voici, mon stupide jeune ami, tu fais partie d’un groupe
qui se propose de tuer le shōgun, d’incendier le château d’Ieyasu à
Suruga, de jeter tout le district de Kantô dans la confusion et de prendre les
rênes du gouvernement. Bref, tu es un traître. Si tu te fais prendre, tu encours
la mort par pendaison.
Jōtarō était bouche bée.
— ... Maintenant, va.
— Puis-je vous poser une
question ? Pourquoi des hommes qui veulent renverser les Tokugawa
devraient-ils être considérés comme des traîtres ? Pourquoi ceux qui ont
renversé les Toyotami et pris la tête du pays ne sont-ils pas des
traîtres ?
— Ce n’est pas à moi qu’il
faut demander ça, répondit Takuan avec un regard froid.
La grenade
Takuan et Iori arrivèrent à la
résidence du seigneur Hōjō Ujikatsu, à Ushigome, plus tard au cours
de la même journée. Un jeune portier alla annoncer Takuan ; quelques
minutes plus tard, Shinzō sortit.
— Mon père est au château
d’Edo, déclara Shinzō. Voulez-vous entrer pour l’attendre ?
— Au château ? dit Takuan.
Je poursuis ma route, alors, puisque c’est là que j’allais de toute façon. Ça
vous ennuierait si je laissais Iori ici avec vous ?
— Pas le moins du monde,
répondit Shinzō avec un sourire et un rapide coup d’œil à Iori. Puis-je
vous commander un palanquin ?
— S’il vous plaît.
A peine le palanquin laqué
avait-il disparu qu’Iori se trouvait aux écuries à passer en revue, un à un,
les chevaux bien nourris, bais et gris pommelé, du seigneur Ujikatsu. Il
admirait particulièrement leurs têtes, qu’il trouvait beaucoup plus aristocratiques
que celle des chevaux de somme qu’il connaissait. Pourtant, il y avait ici un
mystère : comment la classe des guerriers pouvait-elle se permettre de
garder oisifs un grand nombre de chevaux, au lieu de les faire travailler aux
champs ?
Il commençait à imaginer des
cavaliers entrant à cheval dans la bataille, quand la grosse voix de Shinzō
interrompit sa rêverie. Il regarda vers la maison, s’attendant à une
réprimande, mais vit que l’objet de la colère de Shinzō était une mince
vieille femme avec un bâton et une expression têtue.
— Semblant d’être
sorti ? s’écriait Shinzō. Pourquoi mon père devrait-il faire semblant
pour une vieille sorcière qu’il ne connaît même pas ?
— Fichtre, quelle
colère ! dit Osugi, sarcastique. Si je comprends bien, vous êtes le fils
de Sa Seigneurie. Savez-vous combien de fois je suis venue ici pour essayer de
voir votre père ? Bien souvent, permettez-moi de vous le dire ; et
chaque fois, l’on m’a répondu qu’il était sorti.
Un peu démonté, Shinzō
répliqua :
— Ça n’a rien à voir avec le
nombre de fois que vous êtes venue. Mon père n’aime pas recevoir. S’il ne veut
pas vous voir, pourquoi revenez-vous sans cesse ?
Non découragée, Osugi
ricana :
— Il n’aime pas voir les
gens ! Alors, pourquoi vit-il parmi eux ?
Elle montrait les crocs. L’idée de
lui lancer une insulte et de lui donner à entendre le cliquetis de son sabre
dégainé traversa l’esprit de Shinzō ; mais il ne voulait pas se
mettre dans une colère inconvenante, et n’était pas certain que cela serait
efficace.
— Mon père n’est pas là,
dit-il d’un ton neutre. Pourquoi ne pas vous asseoir et m’exposer toute
l’affaire ?
— Eh bien, je crois que je
vais
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