La parfaite Lumiere
était beaucoup plus grand que l’enfant
qu’avait connu Takuan, et son visage était fort changé.
— ... Tu es Jōtarō,
n’est-ce pas ?
L’adolescent posa les deux mains
par terre et se prosterna.
— Oui, répondit-il avec
hésitation, presque avec frayeur.
Il avait reconnu Takuan aussitôt.
— Eh bien, je dois dire que
tu es devenu un beau jeune homme.
Tournant son attention vers Iori,
il l’entoura de son bras et s’assura qu’il vivait encore. Iori reprit
connaissance, et, après avoir durant quelques secondes promené autour de lui
des regards curieux, éclata en sanglots.
— ... Qu’est-ce qu’il y
a ? demanda Takuan d’un ton apaisant. Tu es blessé ?
Iori secoua la tête et
larmoya :
— Je ne suis pas blessé. Mais
ils ont emmené mon maître. Il est à la prison de Chichibu.
Takuan avait du mal à comprendre
Iori à travers ses hoquets ; mais bientôt, l’essentiel de l’histoire lui
devint clair. Takuan, se rendant compte de la gravité de la situation, s’en
affecta presque autant qu’Iori. Jōtarō se trouvait lui aussi dans un
état de profonde agitation. D’une voix tremblante, il déclara
brusquement :
— Takuan, j’ai quelque chose
à vous dire. Pourrions-nous aller quelque part où parler ?
— Il est un des voleurs, dit
Iori. Ne le croyez pas. Il ne vous dira que des mensonges.
Il tendait vers Jōtarō
un index accusateur ; ils se foudroyaient du regard.
— Silence, l’un et l’autre. A
moi de décider qui a tort et qui a raison.
Takuan les emmena à la maison et
leur dit de faire un feu au-dehors. S’asseyant près du feu, Takuan les fit
asseoir de même. Iori hésitait : son expression disait fort clairement
qu’il n’avait aucune intention d’être aimable avec un voleur. Mais, voyant
Takuan et Jōtarō s’entretenir amicalement du bon vieux temps, il
éprouva de la jalousie et s’assit à contrecœur auprès d’eux.
Jōtarō baissa la voix,
et, comme une femme qui confesse ses péchés devant le Bouddha, devint très
grave :
— Voilà quatre ans que je
reçois les enseignements d’un homme appelé Daizō. Il vient de Narai, dans
la province de Kiso. Je connais ses aspirations et ce qu’il veut faire pour le
monde. J’accepterais de mourir pour lui, s’il le fallait. Et voilà pourquoi
j’ai essayé de l’aider dans son travail... Mon Dieu, ça fait réellement du mal
d’être traité de voleur. Pourtant, je suis toujours le disciple de Musashi.
J’ai beau être séparé de lui, je n’ai jamais un seul jour été séparé de lui en
esprit.
Il se hâta de poursuivre, sans
attendre qu’on l’interrogeât :
— ... Daizō et moi, nous
avons juré par les dieux du ciel et de la terre de ne révéler à personne quel
est notre but dans la vie. Je ne puis même pas vous le dire à vous. Pourtant,
je ne peux rester les bras croisés alors qu’on jette Musashi en prison. J’irai
demain à Chichibu, et j’avouerai.
— Alors, c’est toi et Daizō
qui avez cambriolé le trésor, dit Takuan.
— Oui, répondit
Jōtarō sans le moindre signe de contrition.
— Alors, tu es bien un
voleur, dit Takuan.
Jōtarō baissa la tête
afin d’éviter les yeux de Takuan.
— Non, non, murmura-t-il.
Nous ne sommes pas des cambrioleurs ordinaires.
— J’ignorais qu’il existait
des variétés différentes de voleurs.
— Eh bien, ce que j’essaie
d’exprimer, c’est que nous ne faisons pas ces choses dans notre propre intérêt.
Nous les faisons pour le peuple. Il s’agit de déplacer des fonds publics dans
l’intérêt du public.
— Je ne comprends rien à ce
genre de raisonnement. Veux-tu dire que tes vols sont des délits
vertueux ? Veux-tu dire que tu ressembles aux bandits héroïques des romans
chinois ? Si oui, il s’agit d’une piètre imitation.
— Je ne puis répondre à cela
sans révéler mon accord secret avec Daizō.
— Ha ! ha ! Tu t’en
tires à bon compte, hein ?
— Parlez toujours. Je
n’avouerai que pour sauver Musashi.
— Musashi est innocent. Que
tu avoues ou non, on finira bien par le relâcher. Il me paraît beaucoup plus
important pour toi de te présenter devant le Bouddha. Prends-moi pour intermédiaire,
et fais-lui une confession générale.
— Le Bouddha ?
— Tu m’as bien entendu. Si je
te comprends bien, tu fais quelque chose de grand pour le compte d’autrui. En
réalité, tu te mets avant les autres. Il ne t’est pas venu à l’esprit que
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