La parfaite Lumiere
j’ai
appris qu’il avait remporté une brillante victoire contre la Maison de Yoshioka.
Je me rappelle avoir pensé à l’époque que Gudō devait être un juge fort
perspicace.
— Je l’ai rencontré tout à
fait par hasard. Il était à Shimōsa, et enseignait à des villageois
comment se protéger contre les bandits. Plus tard, il les a aidés à transformer
en rizière une terre inculte.
— Peut-être est-il le
véritable rōnin que Gudō avait en tête : la perle dans la vaste
mer bleue.
— Vous le croyez
vraiment ? Je l’ai recommandé au seigneur Tadatoshi, mais je crains fort
qu’il ne soit aussi difficile à trouver qu’une perle. Vous pouvez être certain
d’une chose. Si un samouraï comme celui-là prenait un poste officiel, ce ne
serait pas pour l’argent. Il lui importerait avant tout d’accorder son travail
à ses idéaux. Peut-être Musashi préférerait-il le mont Kudo à la Maison de
Hosokawa.
— Comment ?
Sado écarta sa remarque d’un petit
rire, comme si la langue lui avait fourché.
— ... Vous plaisantez, bien
sûr, dit Yukimura. Dans ma situation présente, j’ai à peine les moyens
d’engager un serviteur, à plus forte raison un rōnin célèbre. Je doute que
Musashi viendrait, même si je l’y invitais.
— Inutile de le nier, dit
Sado, ce n’est un secret pour personne que les Hosokawa sont dans le camp des
Tokugawa. Et chacun sait que vous êtes le soutien sur lequel Hideyori compte le
plus. En regardant le rouleau dans l’alcôve, j’étais impressionné par votre
loyalisme.
Apparemment offensé, Yukimura
déclara :
— Ce rouleau m’a été donné
par une certaine personne du château d’Osaka en guise de portrait funéraire de
Hideyoshi. J’essaie d’en prendre bien soin. Mais Hideyoshi est mort.
Il avala sa salive et
reprit :
— ... Les temps changent,
bien sûr. Point n’est besoin d’être spécialiste pour constater qu’Osaka est
tombé dans une mauvaise passe alors que la puissance des Tokugawa ne cesse
d’augmenter. Mais je suis incapable, par nature, de changer de loyalisme pour
servir un second seigneur.
— Je me demande si les gens
croiront que c’est aussi simple. S’il m’est permis de parler franchement, tout
le monde dit que Hideyori et sa mère vous versent chaque année de fortes
sommes, et que d’un signe de la main vous pourriez rassembler cinq ou six mille
rōnins.
Yukimura eut un rire de mépris.
— Pas un mot de vrai
là-dedans. Je vous le dis, Sado : il n’y a rien de pire que de faire passer
les gens pour plus qu’ils ne sont.
— Vous n’en sauriez blâmer
personne. Vous êtes allé jeune à Hideyoshi, et il vous a préféré à tout le
monde. Si je comprends bien, l’on a entendu votre père déclarer que vous êtes
le Kusunoki Masashige ou le K’ung-ming de notre temps.
— Vous m’embarrassez.
— N’est-ce pas la
vérité ?
— Je veux passer le restant
de mes jours ici, tranquillement, à l’ombre de la montagne où l’on conserve la
Loi du Bouddha. C’est tout. Je ne suis pas un raffiné. Il me suffit de pouvoir
agrandir un peu mes champs, vivre assez pour voir naître l’enfant de mon fils,
avoir en automne des nouilles de sarrasin fraîches, et manger des légumes verts
au printemps. Outre cela, j’aimerais jouir d’une longue existence, très loin
des guerres ou des bruits de guerre.
— C’est là vraiment
tout ? demanda Sado avec douceur.
— Riez si vous voulez, mais
j’ai consacré mes loisirs à lire Lao-tseu et Tchouang-tseu. J’en suis arrivé à
la conclusion que la vie est joie. Sans joie, à quoi bon vivre ?
— Tiens, tiens !
s’exclama Sado en feignant la surprise.
Ils causèrent encore une heure
environ, devant des tasses de thé servies par l’épouse de Daisuke. Sado finit
par déclarer :
— Je crains d’être resté trop
longtemps à vous faire perdre votre temps avec mon bavardage. Nuinosuke,
partons-nous ?
— Rien ne presse, dit
Yukimura. Mon fils et sa femme ont fait des nouilles. Une pauvre nourriture
campagnarde, mais je voudrais que vous en mangiez avec nous. Si vous avez
l’intention de faire étape à Kamuro, vous avez tout le temps.
A ce moment, Daisuke parut pour
demander à son père si l’on pouvait servir le repas. Yukimura se leva et les
précéda le long d’un corridor qui menait à la partie arrière de la maison.
Lorsqu’ils furent assis, Daisuke tendit à Sado une paire de baguettes
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