La parfaite Lumiere
en
disant :
— J’ai bien peur que la
nourriture ne soit pas trop bonne ; essayez tout de même.
Son épouse, peu habituée à
recevoir des inconnus, tendit avec gêne une coupe de saké que Sado refusa
poliment. Daisuke et sa femme s’attardèrent encore un moment avant de
s’excuser.
— Quel est ce bruit que
j’entends ? demanda Sado.
Cela ressemblait assez à un métier
à tisser, mais en plus fort et d’un caractère un peu différent.
— Oh ! ça ? C’est
une roue en bois pour fabriquer de la corde. J’ai le regret de vous dire que
j’ai dû mettre famille et serviteurs au travail pour tresser de la corde, que
nous vendons pour améliorer nos finances. Nous y sommes tous habitués, mais je
suppose que cela risque d’être agaçant pour qui ne l’est pas. Je vais faire
dire que l’on cesse.
— Non, ça n’a pas
d’importance. Ça ne me gêne pas. Je ne voudrais à aucun prix vous empêcher de
travailler.
En se mettant à manger, Sado pensa
à la nourriture, qui parfois renseigne sur la situation d’un homme. Mais il n’y
trouva rien de révélateur. Yukimura ne ressemblait nullement au jeune samouraï
qu’il avait connu des années auparavant, mais il paraissait avoir enveloppé
d’un voile d’ambiguïté sa situation présente.
Sado réfléchit alors aux sons
qu’il entendait : bruits de cuisine, allées et venues, et par deux fois un
tintement d’argent que l’on compte. Les daimyōs dépossédés n’avaient pas
l’habitude du labeur physique, et tôt ou tard leurs trésors à vendre
s’épuisaient. L’on pouvait concevoir que le château d’Osaka eût cessé de
fournir des fonds. L’idée de Yukimura en difficultés financières n’en était pas
moins étrangement troublante.
Sado s’était dit que peut-être son
hôte essayait de rassembler des bribes de conversation pour former une image de
la façon dont les choses allaient avec la Maison de Hosokawa ; mais rien
ne l’indiquait. Ce qui ressortait de ses souvenirs de leur rencontre, c’est que
Yukimura n’avait pas posé de question sur sa visite au mont Kōya. Sado eût
répondu bien volontiers : il n’y avait rien de mystérieux là-dedans. Bien
des années plus tôt, Hosokawa Yūsai avait été envoyé par Hideyoshi au
Seiganji, où il avait séjourné un bon moment. Il avait laissé des livres, des
écrits et des effets personnels qui étaient devenus des souvenirs importants.
Sado les avait recensés, triés, et pris des dispositions pour que le temple les
rendît à Tadatoshi.
Nuinosuke, qui n’avait pas bougé
de la véranda, jeta un regard anxieux vers le fond de la maison. Les relations
entre Edo et Osaka étaient tendues, c’est le moins que l’on pouvait dire.
Pourquoi Sado prenait-il un risque pareil ? Il n’imaginait pas que Sado
courait un danger immédiat mais il avait appris que le seigneur de la province de
Kii, Asano Nagaakira, avait des instructions pour surveiller de près le mont
Kudo. Si l’un des hommes d’Asano rapportait que Sado avait effectué une visite
secrète à Yukimura, le shōgunat soupçonnerait la Maison de Hosokawa.
« Voici ma chance », se
dit-il tandis que le vent balayait soudain les fleurs de forsythias et de
kerrias du jardin. Des nuages noirs se formaient rapidement, et il commençait à
pleuvoter. Nuinosuke se précipita pour annoncer :
— Il commence à pleuvoir,
monsieur. Si nous devons partir, je crois que c’est le moment.
Reconnaissant de l’occasion de
prendre congé, Sado se leva tout de suite.
— Merci, Nuinosuke,
répondit-il. Bien sûr, nous partons.
Yukimura s’abstint de presser Sado
de passer la nuit. Il appela Daisuke et son épouse et dit :
— Donnez à nos hôtes des
capes de paille contre la pluie. Et toi, Daisuke, accompagne-les à Kamuro.
Au portail, après avoir remercié
Yukimura de son hospitalité, Sado lui déclara :
— Je suis certain que nous
nous rencontrerons de nouveau un de ces jours. Peut-être sera-ce encore un jour
de pluie, ou peut-être soufflera-t-il un vent violent. D’ici là, je vous
souhaite la meilleure des santés.
Yukimura fit un grand sourire et
approuva de la tête. Oui, un de ces jours... Un instant, chacun vit l’autre en
pensée, à cheval et armé d’une lance. Mais pour le moment, il n’y avait que
l’hôte incliné parmi les pétales d’abricotier qui tombaient, et l’invité qui
partait en cape de paille rayée de pluie.
Tandis qu’ils cheminaient
lentement,
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