La parfaite Lumiere
veux pas faire à pied, avec lui, tout le chemin du
mont Kudo.
— Nous pourrons probablement
louer un cheval au village d’Amami.
Une fleur de poirier
Dans la sombre et solennelle forêt
de cryptomerias, les voix des humbles pies-grièches, mêlées à celles des
célestes bulbuls, évoquaient les sonorités précieuses du mythique oiseau Kalavinka.
Deux hommes, qui descendaient du
sommet du mont Kōya, où ils avaient visité les salles et les pagodes du
Kongōbuji et s’étaient prosternés dans le sanctuaire intérieur,
s’arrêtèrent sur un petit pont en dos d’âne entre les enceintes intérieure et
extérieure du temple.
— Nuinosuke, dit pensivement
le plus âgé, le monde est bien fragile et impermanent, tu ne trouves pas ?
D’après son lourd manteau sans
apprêt et son hakama utilitaire, on aurait pu le prendre pour un
samouraï campagnard, n’eût été ses sabres d’une exceptionnelle qualité, et le
fait que son compagnon était beaucoup trop courtois et bien tenu pour un
serviteur de samouraï provincial.
— ... Tu les as vus, n’est-ce
pas ? continua-t-il. Les tombeaux d’Oda Nobunaga, Akechi Mitsuhide, Ishida
Mitsunari, Kobayakawa Kingo : tous, voilà quelques années à peine, de
brillants et célèbres généraux. Et là-bas, ces pierres couvertes de mousse
marquent l’emplacement funéraire de membres importants des clans Minamoto et
Taira.
— Amis et ennemis... tous
ensemble ici, n’est-ce pas ?
— Tous, rien de plus que des
pierres solitaires. Des noms comme Uesugi et Takeda étaient-ils vraiment
grands, ou ne faisions-nous que rêver ?
— Cela me donne une étrange
impression. En quelque sorte, il me semble que le monde où nous vivons est irréel.
— Est-ce bien cela ? A
moins que ce ne soit cet endroit-ci qui est irréel ?
— Hum... Qui sait ?
— Qui crois-tu qui ait eu
l’idée de nommer ceci le pont des Illusions ?
— C’est un nom bien choisi,
vous ne trouvez pas ?
— Je crois que l’illusion est
la vérité, tout comme l’illumination est la réalité. Si l’illusion était
irréelle, le monde ne pourrait exister. Un samouraï qui consacre sa vie à son
maître ne saurait un seul instant se permettre d’être nihiliste. Et voilà
pourquoi le Zen que je pratique est un Zen vivant. C’est le Zen du monde
corrompu, le Zen de l’enfer. Un samouraï qui tremble à la pensée de
l’impermanence ou méprise le monde ne peut accomplir ses devoirs... Assez de
cet endroit. Retournons à l’autre monde.
Il marchait vite, d’un pas remarquablement
assuré pour un homme de son âge. Apercevant des prêtres du Seiganji, il fronça
le sourcil et bougonna :
— ... Pourquoi ont-ils fait
cela ?
Il avait passé la nuit précédente
au temple ; et voici qu’une vingtaine de jeunes prêtres, alignés le long
de l’allée, attendaient son départ, bien qu’il eût fait ses adieux le matin
dans l’intention d’éviter ce genre de manifestation. Il endura l’épreuve,
distribua des au-revoir polis, et se hâta de prendre la route qui dominait la
bigarrure des vallées appelées Kujūkutani. Il ne se détendit qu’en
regagnant le monde ordinaire. Conscient qu’il était du caractère faillible de
son propre cœur humain, le parfum de ce monde le soulageait.
— Salut, qui êtes-vous ?
Cette question l’atteignit comme
un coup à un tournant de la route.
— Qui êtes-vous,
vous-même ? demanda Nuinosuke.
Le samouraï bien bâti, au teint
clair, qui se tenait au milieu de la route, répondit poliment :
— Pardonnez-moi si je me
trompe, mais n’êtes-vous pas le vassal principal du seigneur Hosokawa
Tadatoshi, Nagaoka Sado ?
— Je suis bien Nagaoka. Qui
donc êtes-vous, et comment saviez-vous que j’étais dans les parages ?
— Je m’appelle Daisuke. Je
suis le fils unique de Gessō, qui vit retiré sur le mont Kudo.
Voyant que ce nom restait sans
effet, Daisuke reprit :
— ... Mon père a depuis
longtemps rejeté son ancien nom, mais jusqu’à la bataille de Sekigahara il se
nommait Sanada Saemonnosuke.
— Vous voulez dire Sanada
Yukimura ?
— Oui, monsieur.
Avec une timidité peu compatible
avec son allure, Daisuke ajouta :
— ... Un prêtre du Seiganji
est passé chez mon père, ce matin. Il a dit que vous étiez venu faire un bref
séjour au mont Kōya. Bien que nous ayons appris que vous voyagiez
incognito, mon père a pensé qu’il serait dommage de ne pas vous inviter
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