La parfaite Lumiere
pris la fuite. Sahei appela des
dockers et leur ordonna de le rattraper. Quand on ramena Iori, Sahei
écumait :
— ... Que faire d’un garçon
pareil ? Il répond et se moque de nous tous. Aujourd’hui, donnez-lui une
bonne punition.
En regagnant le bureau, il
ajouta :
— ... Enlevez-lui ce sabre.
Ils prirent l’arme indésirable, et
lièrent les mains d’Iori derrière son dos. Quand ils eurent attaché la corde à
une grosse caisse de fret, Iori eut l’air d’un singe en laisse.
— Tu vas rester là un moment,
dit l’un des hommes avec un sourire ironique. Que les gens se moquent de toi.
Les autres pouffèrent de rire et
retournèrent à leur tâche. Rien n’était plus odieux à Iori que cela. Combien de
fois Musashi et Gonnosuke lui avaient-ils enjoint de ne rien faire dont il
risquât d’avoir honte !
D’abord, il essaya les
supplications, puis promit de s’amender. Cela s’étant révélé inefficace, il
passa aux invectives :
— Le directeur est un
idiot... un vieux fou ! Détachez-moi et rendez-moi mon sabre ! Je ne
veux pas rester dans une maison pareille.
Sahei sortit en criant :
— La paix !
Alors, il essaya de bâillonner
Iori, mais le garçon lui mordit le doigt ; aussi renonça-t-il, et le
fit-il faire par les dockers. Iori tirait sur ses liens. Déjà terriblement vexé
d’être exposé au pilori, il éclata en sanglots quand un cheval urina et que le
liquide écumeux lui coula vers les pieds.
Alors qu’il se calmait, il vit
quelque chose qui le fit presque s’évanouir. De l’autre côté d’un cheval, il y
avait une jeune femme, la tête protégée du soleil accablant par un chapeau laqué
à larges bords. Son kimono de chanvre était retroussé pour le voyage, et elle
portait une fine perche de bambou.
En vain essaya-t-il de crier son
nom. Ses efforts pour tendre le cou le faisaient presque étouffer. Il avait les
yeux secs, mais des sanglots lui secouaient les épaules. C’était enrageant. Otsū
se trouvait si proche ! Où donc allait-elle ? Pourquoi donc
avait-elle quitté Edo ?
Plus tard au cours de la journée,
lorsqu’un navire accosta au môle, le quartier s’affaira davantage encore.
— Sahei, que fait ce garçon
dehors, l’air d’un ours savant en montre ? C’est cruel de le laisser
ainsi. De plus, c’est mauvais pour les affaires.
L’homme qui entrait au bureau
était un cousin de Tarōzaemon. On avait coutume de l’appeler Namban’ya, du
nom de la boutique où il travaillait. Des marques noires de petite vérole
ajoutaient un caractère un peu sinistre à l’expression irritée de son visage.
En dépit de son aspect, c’était un homme cordial qui donnait souvent des
bonbons à Iori.
— ... Que vous le punissiez
m’est égal, poursuivit-il. Il ne faut pas le faire dehors, dans la rue. C’est
mauvais pour le nom de Kobayashi. Détachez-le.
— Bien, monsieur.
Sahei obéit aussitôt, tout en
gratifiant Namban’ya d’un compte rendu détaillé de l’inutilité absolue d’Iori.
— Si vous ne savez que faire
de lui, dit Namban’ya, je le prends chez moi. J’en parlerai aujourd’hui à Osei.
Le directeur, craignant ce qui se
produirait quand la maîtresse de céans apprendrait ce qui s’était passé,
éprouva soudain le besoin pressant d’apaiser Iori, lequel, pour sa part, ne
voulut rien avoir à faire avec cet homme du reste de la journée. En sortant, ce
soir-là, Namban’ya s’arrêta dans le coin de la boutique occupé par Iori. Un peu
ivre, mais d’excellente humeur, il déclara :
— Eh bien, en fin de compte,
tu ne viendras pas avec moi. Les femmes n’en ont pas voulu entendre parler.
Ha ! ha !
Pourtant, sa conversation avec
Osei et Otsūru avait eu un effet salutaire. Dès le lendemain, Iori entrait
à l’école d’un temple du voisinage. Il fut autorisé à porter son sabre pour
aller à l’école, et ni Sahei ni les autres ne l’ennuyèrent plus.
Mais il demeurait incapable de se
fixer. Lorsqu’il se trouvait à l’intérieur, ses yeux s’égaraient souvent du
côté de la rue. Chaque fois que passait une jeune femme qui ressemblait à Otsū
même de loin, il changeait de couleur. Il lui arrivait de courir au-dehors pour
l’examiner de plus près.
Un matin, vers le commencement du
neuvième mois, une quantité prodigieuse de bagages se mit à affluer par péniche
de Kyoto. Dès midi, coffres et paniers s’amoncelaient devant le bureau. Des
étiquettes indiquaient que cela
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