La parfaite Lumiere
en
arrière vers Shimonoseki, mais Musashi paraissait avoir oublié les gens qu’il
avait quittés. Etait-ce ainsi qu’un samouraï abordait un combat à mort ? A
un bourgeois tel que Sasuke, cela paraissait un comportement froid et sans
cœur. Musashi termina son ouvrage et épousseta les copeaux de son hakama .
— ... Avez-vous quelque chose
dont je pourrais m’envelopper ? demanda-t-il.
— Vous avez froid ?
— Non, mais il y a des
embruns.
— Il devrait y avoir un
manteau molletonné sous le siège.
Musashi prit le vêtement et se le
jeta sur les épaules. Puis il tira du papier de son kimono, et se mit à rouler
et tordre chaque feuille à la façon d’une ficelle. Quand il en eut accumulé
plus de vingt, il les attacha ensemble bout à bout pour faire deux cordes,
qu’ensuite il tressa de manière à fabriquer un tasuki , le lien qui sert
à retrousser les manches au combat. Sasuke avait ouï dire que la fabrication
des tasukis en papier était un art secret, transmis de génération en
génération ; pourtant, entre les mains de Musashi, tout cela semblait
facile. Sasuke admira l’adresse de ses doigts et la grâce avec laquelle il se
glissait les tasukis sur les bras.
— C’est Funashima ?
demanda Musashi, l’index tendu.
— Non. Ça, c’est Hikojima,
qui fait partie de l’archipel Hahajima. Funashima se trouve à un kilomètre
environ au nord-est. Elle est facile à reconnaître parce qu’elle est plate et
ressemble à un long banc de sable. Là, entre Hikojima et Izaki, se trouve le
détroit d’Ondo. Vous avez dû en entendre parler.
— A l’ouest, alors, ce doit
être Dainoura, dans la province de Buzen.
— Exact.
— Maintenant, je me souviens.
C’est dans ces criques et dans ces îles que Yoshitsune a gagné la dernière
bataille contre les Heike.
La nervosité de Sasuke augmentait
à chaque coup de rame. Il avait des sueurs froides et des battements de cœur.
Il lui paraissait bien étrange de parler ainsi de choses et d’autres. Comment
un homme qui allait se battre pouvait-il être aussi calme ?
Il s’agirait d’un combat à
mort ; aucun doute là-dessus. Sasuke ramènerait-il un passager sur la
côte, plus tard ? Ou un cadavre cruellement mutilé ? Impossible de le
savoir. Musashi, songeait Sasuke, ressemblait à un nuage blanc qui flotte au
ciel.
De la part de Musashi ce n’était
pas une pose, car en fait il ne pensait à rien du tout. Pour autant qu’il
éprouvât quelque chose, il s’ennuyait un peu.
Par-dessus bord, il regardait
tourbillonner l’eau bleue. Elle était profonde, ici, infiniment profonde, et
animée de ce qui semblait être la vie éternelle. Mais l’eau n’a pas de forme
fixe, déterminée. N’est-ce pas parce que l’homme a une forme fixe, déterminée,
qu’il ne peut posséder la vie éternelle ? La vraie vie ne commence-t-elle
pas seulement lorsque la forme tangible a été perdue ?
Aux yeux de Musashi, la vie et la
mort n’étaient qu’écume. Il avait la chair de poule, non pas à cause de l’eau
froide, mais parce que son corps éprouvait une prémonition. Son esprit avait
beau s’être élevé au-dessus de la vie et de la mort, le corps et l’esprit ne
s’accordaient pas. Quand chaque fibre de son corps aurait oublié, il ne
resterait au sein de son être que l’eau et les nuages.
Ils dépassaient l’anse de
Teshimachi, à Hikojima. A leur insu, une quarantaine de samouraïs faisaient le
guet sur le rivage. Tous étaient des partisans de Ganryū, et la plupart se
trouvaient au service de la Maison de Hosokawa. En violation des ordres de
Tadatoshi, l’avant-veille ils avaient fait la traversée de Funashima. Dans le
cas où Ganryū serait vaincu, ils étaient prêts à le venger.
Ce matin-là, quand Nagaoka Sado,
Iwama Kakubei et les gardes arrivèrent à Funashima, ils y trouvèrent cette
bande de samouraïs, les tancèrent vertement et leur donnèrent l’ordre d’aller à
Hikojima. Pourtant, comme la plupart des personnalités sympathisaient avec eux,
ils demeurèrent impunis. Une fois hors de Funashima, ce qu’ils feraient n’était
plus de la responsabilité des officiels.
— Tu es bien certain qu’il
s’agit de Musashi ? demandait l’un d’eux.
— Qui veux-tu que ce
soit ?
— Il est seul ?
— On dirait. Il a sur les
épaules un manteau ou quelque chose de ce genre.
— Il doit porter une armure
légère, qu’il veut cacher.
— Allons.
Assoiffés de combat,
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