La parfaite Lumiere
déversant une chaleur nourricière
sur les plants de riz, et annonçant le beau temps pour le lendemain. Quant aux
mouches, lorsque sa transpiration les avait attirées cependant qu’il
travaillait aux champs, il s’était dit qu’elles vaquaient à leurs tâches, tout
comme il vaquait aux siennes. Il les avait même considérées comme des créatures
fraternelles. Maintenant, ayant traversé un large fleuve et pénétré dans le
labyrinthe de la grand-ville, il ne trouvait rien de réconfortant à la chaleur
du soleil, et les mouches ne faisaient que l’irriter.
Sa faim lui fit oublier ces
incommodités. Il jeta un coup d’œil à Iori, et vit sur sa figure également des
signes de lassitude et de convoitise. Peu étonnant : dans la chambre voisine,
une compagnie avait commandé une grosse marmite fumante et s’y attaquait avec
voracité non sans beaucoup bavarder, rire et boire.
Des nouilles de blé noir – soba –, voilà ce qu’il voulait ! A la campagne, si l’on voulait du soba ,
l’on semait du blé noir en début de printemps, on le regardait fleurir en été,
on faisait sécher le grain à l’automne, on le transformait l’hiver en farine.
Alors, on pouvait préparer le soba . Ici, cela ne demandait pas plus
d’efforts que de claquer dans ses mains pour se le faire servir.
— Iori, si nous commandions
du soba ?
— Oui ! répondit Iori
avec enthousiasme.
La patronne vint prendre leur
commande. Pendant qu’ils attendaient, Musashi s’accouda à la fenêtre et
s’abrita les yeux. De l’autre côté du chemin, une pancarte disait :
« Ici, polissage d’âmes. Zushino Kōsuke, maître du style
Hon’ami. » Iori l’avait remarquée aussi. Après l’avoir un moment
considérée avec perplexité, il dit :
— Cette pancarte
indique : « Polissage d’âmes. » Qu’est-ce que ce
métier-là ?
— Mon Dieu, ça dit aussi que
l’homme travaille dans le style Hon’ami ; je suppose donc qu’il s’agit
d’un polisseur de sabre. A propos, il faut que je fasse réparer le mien.
Le soba étant lent à venir,
Musashi s’étendit sur le tatami pour faire un petit somme. Mais, dans la chambre
voisine, le ton avait monté.
— ... Iori, dit Musashi en
ouvrant un œil, veux-tu demander aux voisins de faire un peu moins de
bruit ?
De simples shoji séparaient les
deux chambres ; mais au lieu de les ouvrir, Iori sortit dans le couloir.
La porte de l’autre chambre était ouverte.
— Moins de bruit !
cria-t-il. Mon maître essaie de dormir.
— Hein ?
La querelle s’arrêta net. Les
hommes se retournèrent pour le toiser avec irritation.
— Tu as dit quelque chose,
espèce de crevette ?
Vexé de cette appellation, Iori
répliqua :
— Nous sommes montés ici à
cause des mouches. Et maintenant, vous criez tellement qu’il ne peut se
reposer.
— C’est toi qui dis ça, ou
c’est ton maître qui t’envoie ?
— C’est lui qui m’envoie.
— Vraiment ? Eh bien, je
n’ai pas l’intention de répondre à une petite crotte de bique comme toi. Va
dire à ton maître que Kumagorō de Chichibu lui donnera sa réponse plus
tard. Et maintenant, file !
Kumagorō était une grande
brute d’homme, et les deux ou trois autres qui se trouvaient dans la chambre ne
lui étaient guère inférieurs. Apeuré par la menace qu’il lisait dans leur
regard, Iori battit précipitamment en retraite. Musashi s’était endormi ;
Iori, qui ne voulait pas le déranger, s’assit à la fenêtre.
Bientôt, l’un des marchands de
chevaux entrebâilla le shoji et jeta un coup d’œil à Musashi. Suivirent force
éclats de rire, assaisonnés de remarques sonores et insultantes :
— Il se prend pour qui, à
interrompre notre réunion ? Quel idiot de rōnin ! D’où
sort-il ? Il débarque et se conduit comme s’il était chez lui.
— Il va falloir lui remettre
les idées en place.
— Ouais, on va lui montrer de
quoi sont faits les marchands de chevaux d’Edo.
— Parler ne le lui montrera
pas. Traînons-le derrière l’auberge, et jetons-lui en pleine gueule un seau de
pisse de cheval.
Kumagorō prit la
parole :
— Assez ! Laissez-moi
m’occuper de ça. Ou bien j’obtiens des excuses écrites, ou bien nous lui lavons
la figure à la pisse de cheval. Sirotez votre saké. Laissez-moi faire.
— On va rigoler, dit un
homme, tandis que Kumagorō, avec un sourire suffisant, assurait son obi.
— Je vous prie de m’excuser,
dit Kumagorō
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