La parfaite Lumiere
et demanda :
— Le messager est encore
là ?
— Non ; il est reparti
aussitôt.
L’extérieur de la lettre ne
portait que le mot « Suke », dont Musashi comprit qu’il désignait
Kimura Sukekurō. L’ayant dépliée, il lut : « J’ai informé le
seigneur Munenori que je vous avais rencontré ce matin. Il a paru heureux de
recevoir enfin de vos nouvelles. Il m’a chargé de vous écrire pour vous
demander quand vous pourrez venir nous voir. »
Musashi descendit les dernières
marches et se rendit au bureau, où il emprunta de l’encre et un pinceau. Assis
dans un coin, il écrivit au dos de la lettre de Sukekurō : « Je
serai heureux de rendre visite au seigneur Munenori dès qu’il souhaitera faire
une passe d’armes avec moi. En ma qualité de guerrier, je n’ai pas d’autre but
en l’allant voir. » Il signa le billet « Masana », nom
protocolaire qu’il utilisait rarement.
— ... Iori ! appela-t-il
du bas de l’escalier. Je veux que tu ailles faire une course pour moi.
— Bien, monsieur.
— Je veux que tu remettes une
lettre au seigneur Yagyū Munenori.
— Bien, monsieur.
D’après la patronne, tout le monde
savait où demeurait le seigneur Munenori ; elle n’en indiqua pas moins le
chemin :
— Descendez la rue principale
jusqu’à ce que vous arriviez à la grand-route. Suivez-la jusqu’à Nihombashi.
Là, prenez à gauche et longez le fleuve jusqu’à Kobikichō. C’est là ;
vous ne pouvez pas vous tromper.
— Merci, dit Iori qui avait
déjà ses sandales aux pieds. Je suis sûr que je trouverai.
Il était ravi d’avoir l’occasion
de sortir, d’autant plus qu’il se rendait chez un important daimyō. Sans
se soucier de l’heure, il s’éloigna vite en balançant les bras, la tête
fièrement dressée. Tandis que Musashi le regardait tourner l’angle, il se
dit : « Il n’est pas très bon pour lui d’avoir une telle confiance en
soi. »
Le polisseur d’âmes
— Bonsoir ! cria
Musashi.
Rien, dans la maison de Zushino Kōsuke,
ne donnait à penser qu’il s’agissait d’un lieu de travail. Il lui manquait la
devanture grillée de la plupart des boutiques, et il n’y avait pas de marchandise
exposée. Musashi se tenait dans le couloir au sol en terre battue qui longeait
le côté gauche de la maison. A sa droite se trouvait une partie surélevée au
sol couvert de tatami, qu’un paravent séparait de la pièce située au-delà.
L’homme qui dormait sur le tatami,
les bras reposant sur un coffre-fort, ressemblait à un sage taoïste que Musashi
avait vu une fois dans un tableau. Sa longue face mince avait la teinte
grisâtre de l’argile. Musashi n’y pouvait rien distinguer de l’acuité qu’il
associait à l’artisanat du sabre.
— ... Bonsoir ! répéta
Musashi un peu plus fort.
Quand sa voix pénétra la torpeur
de Kōsuke, l’artisan leva très lentement la tête ; on eût dit qu’il
s’éveillait de plusieurs siècles d’assoupissement. Essuyant la salive de son
menton et se mettant sur son séant, il demanda languissamment :
— Que puis-je pour
vous ?
Musashi avait l’impression qu’un
pareil homme risquait de rendre les sabres, aussi bien que les âmes, plus
ternes ; il n’en tendit pas moins sa propre arme, et exposa le but de sa
visite.
— Permettez-moi d’y jeter un
coup d’œil.
Kōsuke redressa vivement les
épaules. La main gauche posée sur son genou, il avança la droite afin de
prendre le sabre, tout en inclinant vers lui la tête. « Curieux
personnage, se dit Musashi. Il tient à peine compte de la présence humaine,
mais s’incline avec politesse devant un sabre. »
Un morceau de papier dans la
bouche, Kōsuke fit doucement glisser la lame hors du fourreau. Il la tint
devant lui à la verticale, et l’examina de la poignée à la pointe. Son regard
se mit à briller d’un éclat qu’il rappelait à Musashi les yeux de verre d’une
statue bouddhiste en bois. Kōsuke rengaina l’arme d’un coup sec, et leva
vers Musashi un regard interrogateur.
— ... Venez donc vous
asseoir, dit-il en reculant pour faire de la place et en offrant un coussin à
Musashi, lequel ôta ses sandales et monta dans la chambre. Ce sabre est-il dans
votre famille depuis plusieurs générations ?
— Oh ! non, répondit
Musashi. Ce n’est pas l’œuvre d’un armurier célèbre, rien de tel.
— Vous en êtes-vous servi à
la guerre, ou le portez-vous pour un usage
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